Licenciée à son retour de congé maternité, Elsa* devra encore se battre au Tribunal fédéral pour conforter sa victoire. Une lutte qu’elle mène pour toutes les mères
Le 19 septembre 2016, Elsa* reprend le chemin du travail après son congé maternité, avec envie et motivation. Cela n’aura pas suffi, car le jour même, son employeur depuis onze ans, une grande régie immobilière genevoise, la licencie. Pourtant, en 2015, juste avant l’annonce de sa grossesse, Elsa avait été nommée responsable de la communication. Quelques mois plus tard, tout s’écroule. «Selon eux, j’ai été remerciée car ma remplaçante était plus compétente que moi et que je n’étais pas diplômée pour le poste. Je peux le comprendre; cela dit, ils le savaient déjà quand ils me l’ont proposé et j’étais motivée à me former si besoin. Pour moi, cela est clairement lié à ma maternité.»
Décidée à faire valoir ses droits, elle conteste son licenciement et traîne son ex-employeur jusqu’au Tribunal des prud’hommes. Elle échoue une première fois, puis se voit donner raison par la Cour de justice en deuxième instance. Le jugement du 9 janvier confirme le caractère «discriminatoire» de son licenciement en vertu de la Loi sur l’égalité (LEg) et condamne son ex-employeur à lui verser l’équivalent de trois mois de salaire. Une victoire qu’il faudra encore arracher au Tribunal fédéral, la régie ayant formulé un recours…
Très peu de mères licenciées à leur retour de congé maternité ont l’énergie de se lancer dans une telle procédure: qu’est-ce qui vous a décidée à vous battre?
Elsa: A partir du jour où j’ai été licenciée, à savoir le jour de mon retour, plusieurs choses se sont enchaînées. Aucune énergie n’a été mise dans la rédaction de mon certificat de travail alors qu’ils m’avaient dit que j’étais une bonne collaboratrice et qu’ils étaient prêts à me recommander. J’ai dû me battre pour qu’ils daignent me recevoir une fois licenciée; et j’ai eu le sentiment de ne pas être prise au sérieux, d’être niée, après plus de dix ans passés à leurs côtés. Là, j’ai décidé d’obtenir réparation, pas pour l’argent mais pour le symbole, afin de défendre le droit du travail et de la femme maternante. A l’époque, j’ai lu un article dans Le Temps qui abordait la problématique, dans lequel Audrey Schmid (secrétaire syndicale à Unia, ndlr) intervenait, et j’ai décidé de pousser la porte d’Unia pour qu’ils m’épaulent.
Quels sentiments avez-vous traversé au cours de cette longue procédure?
J’ai eu beaucoup de peurs. Il faut dire que c’est un peu David contre Goliath et mon ancien employeur n’a pas hésité à sortir les grands moyens pour m’impressionner! Je n’ai pas compris à quel point ce serait épuisant. J’ai craint de ne plus jamais pouvoir retravailler dans une régie de la place, ou même trouver un appartement. Il y a aussi cette tension permanente, cette attente interminable qui nous empêche de passer à autre chose. Après, je dois admettre que la colère a été un bon moteur.
Comment avez-vous vécu l’échec puis la victoire?
Je crois que les deux parties avaient l’intention d’aller jusqu’au bout. Après le premier jugement rendu par les prud’hommes, je me suis sentie abattue, d’ailleurs je me demande encore comment j’ai eu l’énergie d’y recourir. A force de s’entendre dire qu’on n’est pas compétente, on perd confiance en soi, et aussi dans le système. D’avoir gagné en seconde instance m’a fait beaucoup de bien. Maintenant, il va falloir remettre ça!
Comment appréhendez-vous la bataille à venir au Tribunal fédéral?
Je suis toujours très en colère de voir toute l’énergie que cette régie met à me nuire, notamment en conditionnant le versement de la somme à laquelle elle a été condamnée à l’issue de la procédure fédérale qui ne fait pourtant pas l’objet d’un effet suspensif. Par ailleurs, je ressens encore de la peur, car rien ne nous prépare à passer par ce genre d’épreuves dans la vie. Je ne voulais pas en arriver là. Toutefois, je reste déterminée et gonflée à bloc par tous les messages de soutien que j’ai reçus. Si je perds, ce serait très dommage, car cela ne va pas encourager les femmes à réagir, alors que plus on sera combatives, moins ce genre de comportements discriminatoires existeront.
Quel message adresseriez-vous aux femmes qui vivent la même situation que vous?
Je leur dirais de bien se renseigner et de s’armer de courage pour aller au moins jusqu’à la séance de conciliation avec l’employeur. C’est loin d’être facile, car c’est une période de notre vie où nous sommes très vulnérables et où nous avons plein d’autres batailles à mener, mais il faut le faire.
Comment agir pour éviter que cela ne se reproduise?
S’il existait un congé paternité au moins équivalent au congé maternité, cela changerait beaucoup de choses. Cette situation permettrait aux deux parents d’être davantage présents et impliqués dans l’éducation de l’enfant dès sa première année, de créer des liens forts avec lui. Les rôles traditionnels seraient alors révolutionnés et l’attitude des employeurs envers les mères serait différente.
* Prénom d’emprunt.