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La caméra, pour entrer en lien

Portrait de Luca Solari.
© Thierry Porchet

Luca Solari qualifie le travail réalisé à Schiermonnikoog de témoignage, fruit de sa quête humaniste.

Talentueux photographe, Luca Solari expose à Rolle un travail consacré à une minuscule île hollandaise. Des images belles et fortes où transparaît sa grande sensibilité

Une île, le nord, l’hiver: voilà la trame qui a servi à la construction du récit visuel de Luca Solari consacré à Schiermonnikoog. Une terre située dans l’archipel frison des Pays-Bas, grande comme un mouchoir de poche, ou presque, et comprenant un unique village fort de quelque neuf cents âmes. L’homme, âgé aujourd’hui de 66 ans, découvre ce lieu en 2009, grâce à son épouse hollandaise. Sous le charme, il y séjourne à neuf reprises, toujours durant la saison froide, quand les touristes désertent ce confetti dans la mer des Wadden constitué en grande partie en parc national. Quand les habitants se réapproprient espace et routines. Quand la lumière hivernale sculpte et exalte la nature. Naissent de ses voyages une série de tableaux noir et blanc, empreints de majesté. Paysages mouvants balayés par le vent où dunes de sable, marées, herbes folles, vasières, nuées d’oiseaux... composent des scènes de caractère, teintées d’une certaine mélancolie. Mais aussi une gamme de portraits d’une communauté dans laquelle le photographe, discret observateur, est parvenu à s’intégrer. La porte d’entrée? Un tournoi de billard qui oppose annuellement, en janvier, onze clubs de la commune, dont trois exclusivement féminins. Le voyageur rencontre une de ses responsables, Tiny, âgée d’une nonantaine d’années. Le courant passe. La confiance s’installe.

Une quête humaniste

Luca Solari devient alors le photographe officiel d’une «joute loyale mais néanmoins féroce» et immortalise ces joueurs. Visages graves et concentrés penchés sur les tables, détail de mains expressives, atmosphère intimiste enrichissent ses photos d’îliens marqués par une puissante tradition maritime. Au final, une exposition dont la dimension et la profondeur, sa capacité à dialoguer avec notre intériorité, tiennent directement au temps et à la lenteur réservés à sa réalisation. Une approche respectueuse, toute en douceur, doublée de cet attrait de Luca Solari pour ce Nord où la chaleur humaine compense une certaine rudesse ambiante. «Ce travail est un témoignage, une quête humaniste», précise l’artiste qui, ne parlant pas le néerlandais, s’émerveille du potentiel de la caméra. «Un médium incroyable, un moyen d’entrer en lien.» Si le photographe a profité des relations privilégiées favorisées par son art, il n’en a pas moins joué la carte de l’échange et du partage avec les habitants. Et offert ses tirages à ses modèles. Dans l’esprit de don mutuel qui le caractérise. Il a aussi réalisé un livre de photos enrichies de textes littéraires, Schiermonnikoog - La Forteresse, illustrant ce microcosme hors norme.

De la batterie aux images

Luca Solari a apprivoisé la photographie en autodidacte, en marge de ses activités professionnelles et d’une autre passion, la batterie. Fils de diplomate arrivé à l’âge de 7 ans à Genève, cet Italo-Péruvien d’origine s’installe définitivement dans nos frontières à la vingtaine. Il suit alors le Conservatoire de musique en percussion plusieurs années durant avant de s’en détourner, déçu par une approche trop écrite de la discipline. Et se produit sur différentes scènes de la ville du bout du lac, privilégiant les groupes de musique fusion. «Une démarche progressiste. Un mélange d’influences des années 1970 générant une explosion de la créativité», commente le batteur. Dans les années 1990, une difficile expérience en musique lors d’un voyage en Argentine l’éloignera toutefois provisoirement de son instrument. Mais pas de son besoin de s’exprimer artistiquement. En parallèle de son travail d’ingénieur du son à la radio des Nations Unies – poste qu’il occupera jusqu’à l’âge de la retraite, à 62 ans – et confronté à un divorce douloureux, Luca Solari, père de deux grands enfants de ce premier mariage, se lance dans la photographie. Il se familiarise avec cet art, croquant des images de rue, sur le trajet du travail, mais aussi en fréquentant les bibliothèques. «J’ai découvert un langage, des regards. Autodidacte mais non ignorant», souligne le retraité. Depuis, Luca Solari s’est réconcilié avec la musique et partage désormais son temps entre ses deux passions, la batterie servant aussi de remède quand tout va de travers...

Ni rire, ni pleurer...

«Dans ces moments, mon épouse me dit plutôt: “Respire!” Elle est mon joker, une personne très lumineuse, qui m’aide à prendre du recul, étant pour ma part davantage réactif et dans l’émotion. Mais je préfère me défouler sur mon instrument. Je joue alors à fond, finis en sueur. Une libération», sourit Luca Solari qui, le cœur bien ancré à gauche, ne dissocie pas sa vie et son parcours d’une certaine militance et de la promotion de valeurs cultivées tout au long de sa vie. «Ces valeurs pourraient se résumer à toutes celles qui permettent de briser les barrières érigées entre les humains. Jusqu’à ce jour, nous vivons dans la préhistoire. Nous n’entrerons dans l’Histoire que lorsque l’humanité sera une.» Pas de quoi pour autant éteindre la flamme de l’espoir de cet homme d’une grande sensibilité qui, sans être naïf, croit à la capacité des êtres à se montrer à la hauteur des tâches qui les attendent. A la force de la mobilisation et de la lutte. Des engagements qui passent selon lui par le politique, par une redistribution des cartes en matière de gouvernance, par la nécessité de revoir un système à l’origine de crises comme celles écologique ou sanitaire. «Si nous limitons le combat à la question environnementale et à la santé, nous ferons fausse route. Il faut s’engager plus largement. Le capitalisme, c’est la guerre. Il n’y a pas d’acquis sous sa coupole. Seul un pourcentage de la population en Afrique a eu à ce jour accès aux vaccins contre le Covid-19. C’est une forme de racisme», illustre encore cet humaniste. Et de conclure par une de ses devises dans la vie: «Ni rire, ni pleurer, mais comprendre et agir.» On rajoutera encore photographier, pour le plus grand plaisir de nos yeux...

Exposition au Château de Rolle, jusqu’au 15 août, du mardi au vendredi de 11h à 15h et de 17h à 20h; samedi et dimanche, de 11h à 18h.