Sous le titre La défaite de l’Occident, Emmanuel Todd vient de publier un nouveau livre qui a de quoi nous faire réfléchir au sujet du monde qui se déglingue autour de nous. Il s’est fait une réputation, il y a de nombreuses décennies, en annonçant l’implosion de l’URSS. Ce qu’il nous dit de notre Occident se base également sur l’analyse de la fécondité des femmes et sur le nombre d’enfants nés vivants, morts avant 5 ans… mais pas que. Pour entrer en matière commençons par un premier chiffre. Combien de pays ont-ils emboîté le pas à l’Occident qui accuse la Russie de vouloir suivre un dictateur un peu fou voulant reconstruire l’Empire soviétique? L’Occident des sanctions, nous fait remarquer Todd, ne représente que 12% de la population mondiale. Un sur 8. C’est court.
Mais l’analyse sur le long terme est plus originale encore. Je résume. Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons eu droit aux Trente glorieuses. Les plus riches payaient jusqu’à 82% de leurs revenus aux impôts. Ainsi les Etats étaient en mesure de développer les services publics et l’école en particulier. Cette ouverture a permis à un nombre considérable de jeunes adultes de faire des études supérieures. Ces universitaires considéraient impossible de suivre ceux qui se réclamaient de vérités révélées. Ainsi, le protestantisme a-t-il disparu après quelques années de pratique d’un «protestantisme zombie», c’est-à-dire l’abandon des valeurs morales au profit des seules cérémonies du baptême, du mariage et de l’enterrement religieux. Nous en sommes au protestantisme zéro.
S’est ensuivi l’abandon progressif des études techniques. On a arrêté de former des ingénieurs au profit des juristes et des financiers largement mieux payés. Ceux-ci ont pris le contrôle de l’économie. Ils ont estimé qu’il était plus rentable de construire machines et ordinateurs dans les pays d’Extrême-Orient. Nous en sommes maintenant complètement dépendants. Il apparaît même que, si les USA sont encore capables de fournir les bombes qu’Israël fait pleuvoir sur Gaza (tout en demandant très publiquement à Netanyahou d’arrêter le génocide), ils ne sont plus en mesure d’en fournir assez à l’Ukraine. L’Ukraine est assez loin de l’Amérique et n’est engagée que dans l’extension de l’OTAN. Ce conflit étant une question existentielle pour la Russie, c’est elle qui gagnera…
Pour en revenir aux observations démographiques évoquées au début, ajoutons que pendant que l’espérance de vie augmentait de 6 ans sous Poutine, aux USA, entre 2014 et 2020 elle a reculé de 78,8 à 77,3 ans avec les dépenses de santé les plus élevées du monde soit 18,8% du PIB. Elles sont autour de 12% pour les pays européens. Pour la mortalité infantile aux USA, c’est 5,4 pour 1000 naissances, alors qu’en Russie ce n’est que 4,4 pour 1000, en Allemagne 3,1 et au Japon 1,8.
Autant dire que les nouvelles ne sont pas bonnes.
Pierre Aguet, Vevey