Après quatre ans de procédure, Octavio Sanchez, un maçon tailleur de pierre, a réussi à faire reconnaître son épicondylite comme maladie professionnelle, avec le soutien d’Unia.
Il aura fallu quatre longues années à Octavio Sanchez pour pouvoir enfin crier victoire. Quatre années durant lesquelles les assurances se sont renvoyé la balle et ont fait traîner le dossier. Mais la persévérance aura fini par porter ses fruits. Ce maçon tailleur de pierre de 50 ans, originaire d’Espagne, a réussi avec le soutien du service juridique d’Unia Vaud à faire reconnaître son épicondylite comme maladie professionnelle. Voici son histoire.
Octavio Sanchez arrive en Suisse en 2010 et travaille dans plusieurs entreprises vaudoises. Quelques années plus tard, en été 2019, c’est là que le cauchemar commence sur un chantier de démolition de cheminée. «Il fallait travailler vite et je me suis fait mal, raconte le travailleur. Les douleurs dans mon coude droit ont persisté pendant des mois. Je ne pouvais plus faire certains mouvements. Sur le coup, on a minimisé, pensant que c’était dû à des courbatures vu l’intensité de la tâche, j’ai donc continué à travailler. Puis, un jour, dans le cadre de la creuse d’une fouille à la main, j’ai tapé mon coude contre une bordure et, là, c’était la fois de trop.» Nous sommes en novembre 2019: Octavio Sanchez consulte son médecin qui diagnostique une épicondylite, soit une inflammation douloureuse des tendons du coude, souvent causée par une sursollicitation de ces derniers prolongée dans le temps. Le travailleur sera mis en arrêt de travail et l’accident sera déclaré auprès de la Suva, qui l’indemnisera. Pour lui, il ne fait nul doute que cette épicondylite a été causée par son activité professionnelle, mais la Suva ne l’entend pas de cette oreille.
En été 2020, les douleurs sont encore présentes, mais la Suva explique que, s’il reste des lésions, cela relève de la maladie et plus de l’accident. Octavio Sanchez bascule donc à l’assurance perte de gains (APG), l’assurance maladie classique.
Nouveau projet solide
«L’APG a mis quatre mois pour traiter mon dossier, quatre mois durant lesquels je n’ai reçu aucun revenu et eu aucune prise en charge de mes frais médicaux, sachant que j’avais un traitement et des séances de physiothérapie», rapporte ce dernier. S’ensuivront deux opérations en 2021. Après un an d’indemnisation des APG et une Suva qui nie toujours la maladie professionnelle, Octavio Sanchez est pris en charge par l’Assurance invalidité (AI) en septembre 2021. «A ce moment-là, je n’ai plus de douleurs vives dans le coude mais je suis toujours limité dans mes mouvements, même dans ma vie privée. Je ne peux plus porter de poids. Je me rappelle avoir pris trois jours d’antalgiques après une simple randonnée...»
L’AI estime qu’Octavio Sanchez peut prétendre à des mesures de reclassement professionnel. Plus de deux ans après son accident initial, et malgré tous ces aléas, l’ancien maçon tailleur de pierre est déterminé à reprendre le chemin du travail. C’est ainsi qu’il trouve une entreprise et une école pour se former à devenir conducteur de travaux et dégote plusieurs stages pendant deux ans. «Parallèlement, je me suis formé à la technologie BIM (Building Information Modeling), à savoir la numérisation du monde de la construction et du bâtiment. Je suis très chanceux d’avoir pu suivre une formation en Espagne qui a été subventionnée en partie par Unia.
Délivrance
Aujourd’hui, Octavio Sanchez suit un stage de reclassement depuis cinq mois dans le bureau d’architectes RDR, actif à l’international, dans l’équipe de processus et d’innovation digitale. «Ce sont des techniques encore peu développées en Suisse: c’est une nouvelle façon de bâtir et de planifier le travail, mais aussi de prévenir les risques en matière de santé et de sécurité au travail.» S’il s’épanouit dans sa nouvelle carrière, Octavio Sanchez n’a pas pour autant lâché le morceau toutes ces années et a bataillé pour faire reconnaître son épicondylite comme maladie professionnelle auprès de la Suva. Après plusieurs recours qui sont allés jusqu’au Tribunal cantonal, ce dernier a renvoyé la balle à la Suva fin 2022 en exigeant, entre autres, une expertise médicale indépendante. L’experte a fini par statuer en juin dernier, après quatre ans de procédure, et admis la maladie professionnelle. Un soulagement pour Octavio Sanchez, même s’il reste encore beaucoup à faire, la Suva ayant pour l’heure seulement pris acte de la décision. Nicolas Rochat, juriste d’Unia Vaud en charge du dossier, dénonce les nombreux manquements de cette affaire. «Il y a eu dans ce dossier des interruptions de traitement pendant plus de neuf mois, qui étaient injustifiées et irrespectueuses, sans parler de la mauvaise gestion du dossier par la Suva. Soit c’était impossible de les contacter, soit ce n’était jamais le bon interlocuteur, c’est vraiment choquant! Nous avons dû menacer la Suva à plusieurs reprises de déni de justice. Sans parler de la souffrance de l’assuré et du préjudice financier qu’il a subi. En effet, la loi parle de primauté à la réinsertion professionnelle mais à quel coût financier et psychique!»
A la Suva de statuer
A savoir que les maladies professionnelles sont répertoriées dans une Ordonnance, dictée par le Conseil fédéral. Les conditions sont très restrictives et le lien de causalité doit être prouvé, c’est-à-dire que les lésions du travailleur doivent être causées à plus de 75% par l’activité professionnelle. Jusqu’ici, un ou deux cas d’épicondylite seulement ont été reconnus comme maladie professionnelle par le Tribunal fédéral. «C’est une victoire, se réjouit Nicolas Rochat. Une victoire morale pour Octavio Sanchez, mais aussi juridique pour la reconnaissance de cette maladie comme professionnelle.»
La Suva doit maintenant statuer. Octavio Sanchez pourrait prétendre à diverses prestations de la part de la caisse nationale d’assurance accidents, comme des indemnités pour atteinte à l’intégrité, mais aussi une rente d’invalidité ou encore une indemnité de reconversion professionnelle. De même, il devrait ne plus avoir de franchise à payer sur ses soins en lien avec sa maladie et obtenir un remboursement rétroactif de toutes ses dépenses de santé. «Nous espérons vivement que les prestations auxquelles il a droit seront satisfaisantes», conclut le juriste.
«Aujourd’hui, même si je n’ai plus que des douleurs résiduelles et ponctuelles, je suis le grand perdant de cette histoire, souligne Octavio Sanchez. Cette maladie a causé des dommages sur ma santé mais aussi d’ordre financier, avec une perte de 20% de mon salaire depuis quatre ans, sans compter mes lacunes de cotisations à la LPP...»