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La grève en suspension…

Manifestation de solidarité à Fribourg.
© Olivier Vogelsang

A Fribourg, les grévistes ont illustré leur quotidien sur la banderole qui a ouvert la manifestation de solidarité organisée vendredi passé à l’appel des syndicats, de partis et d’associations du canton.

Après cinq semaines de conflit, la grève chez Smood devrait connaître un temps de suspension. L’Etat de Genève, où se trouve le siège de la plateforme, a lancé lundi une procédure de conciliation. Durant toute la semaine dernière, les livreuses et les livreurs ont poursuivi leur lutte pour le respect et la dignité, ponctuée à Fribourg par une manifestation de solidarité

Le Département de l'économie et de l'emploi du Canton de Genève a annoncé lundi avoir saisi la Chambre des relations collectives de travail (CRCT) du conflit social chez Smood. Le siège de la société de livraison est situé à Plan-les-Ouates, dans le canton du bout du lac. L’objectif est d'engager une procédure de conciliation afin que les deux parties parviennent à s'accorder sur un protocole de négociation. Lundi, à l’heure du bouclage de ce journal, les grévistes et Unia attendaient de recevoir la convocation devant la CRCT. Durant cette phase de conciliation, qui peut durer plusieurs semaines, les mesures de lutte doivent être suspendues.

Le conflit chez Smood entre dans sa sixième semaine et son issue apparaît encore éloignée. Démarré le 2 novembre à Yverdon, le mouvement soutenu par Unia a fait boule de neige dans dix autres villes de Suisse romande où une centaine de livreurs et de livreuses ont formé des comités de lutte et vient de franchir la Sarine (voir ci-dessous). Durant un mois, la direction de l’entreprise de livraison a refusé de dialoguer avec les représentants du personnel. Des rencontres ont bien eu lieu ensuite, mais elles n’ont, pour l’heure, pas débouché sur un accord ou un début de négociation. Responsable de la logistique pour Unia, Roman Künzler le regrette: «Jusqu’à présent, les pourparlers que nous avons eus ont surtout montré que les dirigeants de la société n’étaient pas prêts à trouver un réel accord négocié qui règle de manière collective les graves dysfonctionnements constatés chez Smood.»

Pour rappel, selon les calculs du syndicat, les livreurs de Smood ne gagnent, une fois retranchés les frais, que 14,70 francs de l’heure. Les salariés de Simple Pay, une entreprise sous-traitante de la plateforme de livraison dans les cantons de Genève et Vaud, sont, eux, encore plus mal lotis. Payés à la minute, ils ne perçoivent, une fois déduits les attentes des commandes et les frais, qu’entre 5 et 10 francs par heure seulement.

Soutien de restaurateurs

Les grévistes et Unia ont cherché ces dernières semaines à sensibiliser les partenaires de Smood sur cette précarité. Intitulée «Smood, écoute tes livreurs», une pétition signée par plus de 12000 personnes sur les piquets de grève a été déposée le 23 novembre au siège de Migros Genève, qui détient 35% des actions de la plateforme et qui occupe deux des quatre sièges de son conseil d’administration. Vendredi dernier, ce fut au tour d’un autre partenaire important d’être visé: McDonald’s. Dans toute la Suisse, le syndicat a mené des actions devant les enseignes de la chaîne de restauration rapide, appelant, là aussi, les directions à intervenir auprès de Smood pour qu’un accord soit trouvé avec les grévistes. Plus de cent restaurateurs clients de la plateforme ont, par ailleurs, déjà signé une lettre distribuée par Unia et adressée au directeur et fondateur de Smood, Marc Aeschlimann, allant dans le même sens. Evoquant des «dysfonctionnements qui ne sont pas dignes d’une entreprise sérieuse», la missive réclame des «conditions de travail décentes» et l’ouverture immédiate de négociations. Le syndicat a aussi saisi récemment les services de l’emploi vaudois et genevois sur la question de Simple Pay (voir ci-dessous).

Par sa durée, son éclatement dans douze villes et l’absence de locaux ou encore la fermeture totale de l’employeur au dialogue, le mouvement des «smoodeurs» est une grève difficile à mener. Chaque témoignage de solidarité est donc précieux pour les grévistes, qui ont vu d’un bon œil se former des comités de soutien dans les cantons de Vaud, Fribourg et Genève, rassemblant syndicats, partis et organisations progressistes.

Action devant McDonald's.
A Crissier, comme devant d’autres enseignes de McDonald’s en Suisse, Unia et les livreurs de Smood ont mené une action vendredi dernier sur le coup de midi. Tout en passant commande et en informant les clients, ils ont interpellé le géant américain pour que ce dernier, partenaire privilégié de Smood, intervienne afin de mettre fin à l’exploitation des employés de la plateforme de livraison. © Thierry Porchet

 

«Smood, il va falloir payer!»

Dans la cité des Zaehringen, on dénombre une douzaine de grévistes de Smood. Plutôt actifs, selon la cosecrétaire régionale d’Unia Fribourg: «Ils ont récolté 1500 signatures pour la pétition en dix jours, ainsi que de nombreux soutiens de restaurateurs.» Yolande Peisl-Gaillet se réjouit de la création d’un comité appuyant les revendications des grévistes. Vendredi passé, ce dernier organisait un rassemblement en fin de journée sur la place Python. Près d’une septantaine de personnes ont écouté des représentants du Parti socialiste, du Syndicat des services publics, de Solidarités, des Jeunes POP et de la Grève féministe souligner tour à tour au micro le courage des grévistes et la justesse de leurs revendications. «Si vous voulez atteindre vos objectifs, soyez tous unis et solidaires», leur a conseillé Mohamed, un participant à la grève de la buanderie de Marsens en 2015.

Prenant la parole, Jason, l’un des grévistes, a remercié les participants et a rappelé les revendications: toutes les heures travaillées doivent être payées, les horaires doivent être communiqués au moins deux semaines au préalable et un minimum de travail doit être garanti. «Aujourd’hui, nous ne savons pas au début du mois ce que nous gagnerons à la fin», a indiqué le jeune homme, qui a aussi plaidé le droit de conserver son salaire en cas de maladie et une indemnisation correcte pour le téléphone, ainsi que pour le véhicule privé à hauteur de 70 centimes par kilomètre. «Deux francs de l’heure, c’est largement insuffisant, cela ne couvre pas le tiers de nos frais», a dit le livreur, qui a aussi expliqué en aparté avoir dû dépenser près de 700 francs en matériel pour pouvoir travailler avec son scooter. Jason a encore revendiqué le supplément pour le travail du dimanche, la fin des pénalités, le versement des pourboires, «un lieu où nous pouvons nous tenir au chaud et nous rassembler» et, pour finir, «un salaire décent: nous ne sommes payés que 19 francs brut par heure, c’est insuffisant pour vivre». «Nous revendiquons tout simplement le respect», a-t-il conclu.

Un bref cortège dans la rue de Romont a suivi le rassemblement avec des arrêts devant un McDonald’s et une Migros, les manifestants scandant: «Smood, Smood, il va falloir payer, assez, assez de précarité!»

Le conflit saute la barrière de rösti

Limité jusqu’à présent à la Suisse romande, le conflit a fini par passer la Sarine. Constitué de membres d’Unia et de Syndicom, un collectif de livreurs a été créé à Winterthour. Il a remis lundi ses revendications à Smood et s’apprêtait à entrer en grève.


Simple Pay, une location de services pas aux normes

Unia vient de saisir les services de l’emploi des cantons de Vaud et Genève sur la question de Simple Pay. Dirigée par une ancienne cofondatrice et directrice de Smood, cette société à responsabilité limitée genevoise met des coursiers à disposition de la plateforme de livraison dans les villes de la région lémanique. Pour le syndicat, il ne fait aucun doute que les conditions d’engagement et de travail qui y sont pratiquées ne respectent ni la Loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services, ni la Convention collective de travail de la location de services, pas plus que la Loi sur le travail. Cette dernière stipule que le temps durant lequel les salariés doivent se tenir à disposition de l’employeur est réputé temps de travail et doit, par conséquent, être rémunéré. Or, Simple Pay ne rémunère que le temps durant lequel une commande est livrée. La loi sur la location de services spécifie, elle, que l’horaire de travail doit être précisé dans le contrat du collaborateur. Unia demande aux autorités cantonales d’intervenir sans délai afin de faire respecter la législation en vigueur.

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