Dénonçant le rétablissement d’une police politique, la gauche et les syndicats s’opposent à la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT)
Soumise en votation le 13 juin prochain, la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) ne passe pas du côté de la gauche et des syndicats. «Nous risquons d’assister à la criminalisation arbitraire de syndicalistes engagés», met en garde l’Union syndicale suisse dans un papier de position.
Conçue à la suite des attentats de Paris de 2015, la nouvelle loi permettra à l’Office fédéral de la police de surveiller des individus jugés menaçants, de les soumettre à des interrogatoires, de les obliger à porter un bracelet électronique, ou encore de les confiner sur un périmètre ou à résidence. On imagine que des sympathisants islamistes seront visés, mais la définition des actes terroristes donnée par la nouvelle loi entretient le flou en évoquant des «actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte».
«Si je fais une grève ou, autre exemple, si je dénonce une grande entreprise suisse qui fait travailler des enfants à l’étranger, qui me dit que je ne vais pas être considéré comme quelqu’un de dangereux qui remet en cause l’ordre établi? Je n’en sais strictement rien, puisque les activités qui vont être surveillées ne sont pas précisées dans la loi. Ce sera le rôle d’un fonctionnaire fédéral d’en décider», souligne Edy Zihlmann, secrétaire syndical d’Unia Neuchâtel. «Des personnes ont été fichées seulement parce qu’elles contestaient le nucléaire. Rien ne nous dit que, demain, un militant de Greenpeace ne sera pas assigné à résidence parce qu’on estime qu’il a mis en danger la Suisse en entrant dans une centrale pour accrocher une banderole», remarque, pour sa part, Nicolas Walder, conseiller national (Les Verts/GE).
Edy Zihlmann n’a pas confiance dans la police fédérale: «Les fonctionnaires fédéraux ont montré à de multiples reprises qu’ils sont incompétents ou qu’ils le font exprès. Il faut rappeler que des milliers de syndicalistes ont été fichés en Suisse. Les mesures à l’encontre des éléments dérangeants de la société ont toujours touché dans notre pays les militants de gauche. Je vois l’intérêt pour certains de disposer, au travers de cette loi, d’un moyen de coercition contre des mouvements contestataires, pour le climat ou féministes, qui font de plus en plus de bruit.» La Suisse a une longue expérience de surveillance des personnes actives en politique, mais pour Me Nils de Dardel, avocat genevois et ancien conseiller national, la nouvelle législation va créer «une police politique pire que celle que nous avons connu dans le passé».
Les mesures prévues par la loi MPT ne seront pas ordonnées par un tribunal, la police pourra agir de son propre chef et sur la base de simples soupçons. Ce qui fait dire à Christian Dandrès, également avocat et conseiller national (PS/GE), qu’il s’agit d’une «rupture avec les principes de liberté». «Les organes de l’Etat sont traditionnellement des magistrats, ce rôle est transféré à la police fédérale sans contrôle judiciaire effectif hormis pour les assignations à résidence.»
La sécurité, c’est la justice
D’accord, mais il faut bien agir contre les terroristes, non? «La Loi sur le renseignement permet déjà de mettre un suspect sur écoute, la police peut procéder à des filatures et, s’il existe un doute sérieux, un attentat éminent, lancer une action. Un individu qui transmet aujourd’hui une vidéo djihadiste sur un réseau social peut être condamné», explique Nicolas Walder. «Si l’on veut faire une nouvelle loi, elle doit inclure une vraie protection des prévenus, la possibilité de se présenter devant un juge, le droit d’avoir accès à son dossier et de se défendre. Je ne souhaite pas que des jeunes qui vont une fois se promener à la ZAD de la Colline soient placés sur un listing et considérés comme des terroristes», ajoute Edy Zihlmann. «La sécurité, ce n’est pas l’arbitraire, c’est la justice», souligne Nicolas Walder.
Ce membre de la Commission de politique extérieure du Conseil national déplore aussi que la Loi MPT ne respecte pas la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, ce qui nous vaut de sévères critiques de l’ONU. Les dispositions de la MPT seront en effet applicables à partir de l’âge de 12 ans et dès 15 ans pour la privation de liberté.
Autre élément, la loi supprime l’approbation du Parlement aux traités de collaboration policière avec d’autres Etats. «Les Chambres peuvent les refuser aujourd’hui. C’est important, car ces traités comprennent parfois des clauses qui autorisent l’activité de policiers étrangers sur notre sol. Le Conseil fédéral pourrait conclure des arrangements avec des pays qui ne respectent pas les droits humains et ils sont nombreux», note Nils de Dardel. Nicolas Walder pose la question: «Comment pourrons-nous dire à Poutine qu’il ne doit pas enfermer Navalny? Il nous répondra que la législation russe est la même que la nôtre…»
Recours contre la votation
Dans plusieurs cantons, des recours ont été déposés par des avocats et d’anciens magistrats contre la votation sur la Loi MPT. C’est le cas à Genève, où Mes Christian Dandrès, Nils de Dardel et Romolo Molo estiment que le message adressé par le Conseil fédéral dans la brochure officielle «viole les principes d’objectivité et de vérité». «Il est totalement faux de prétendre que le cadre légal actuel ne permet pas à la police d’agir de façon préventive», estiment les trois avocats dans un communiqué. Idem lorsque le gouvernement affirme que la loi respecte les droits fondamentaux et les droits humains: «L’incompatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme et les traités en matière de droits humains a pourtant été dénoncée par les représentants du Conseil de l’Europe et de l’ONU.» Enfin, le Conseil fédéral omet de préciser que la Loi MPT retire au Parlement le pouvoir de ratifier les traités de collaboration policière conclus par le gouvernement avec des Etats étrangers. «Un tel silence des autorités fédérales est particulièrement choquant et va à l’encontre des principes d’exhaustivité et de transparence.» Pour ces raisons, les hommes de loi demandent l’annulation de la votation.
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