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La pandémie met en lumière la précarité des sans-papiers

Femme de ménage.
© Thierry Porchet/Photo prétexte

Les effets de la pandémie ont frappé de plein fouet les sans-papiers. Nombre d’entre eux,  employés dans l’économie domestique, la construction, l’hôtellerie ou encore l’agriculture, se sont retrouvés du jour au lendemain privés de revenu.

Les personnes sans statut légal sont les premières victimes de la pandémie et du semi-confinement. Témoignages dans le canton de Vaud

Pendant la crise du Covid-19, de nombreuses personnes sans papiers se sont retrouvées privées de travail, et donc sans revenu, du jour au lendemain, partout en Suisse.

Dans le canton de Vaud, le Centre social protestant (CSP) et Caritas, la Croix-Rouge et le collectif d’aide aux sans-papiers, ont répondu aux urgences pour éviter que des travailleuses et des travailleurs sans droit ne se retrouvent à la rue. Environ 1200 personnes, employées dans l’économie domestique, la construction, l’hôtellerie ou encore l’agriculture, ont reçu une aide directe d’urgence jusqu’à fin juin.

Au niveau politique, le Conseil communal lausannois a adopté une résolution pour la régularisation des personnes sans statut légal du canton de Vaud. Fin août, la Municipalité de Lausanne, à l’instar d’autres communes, a écrit au Conseil d’Etat vaudois dans ce sens et en apportant son soutien à l’action de la plateforme Papyrus Vaud.

Au niveau national, début septembre, la plateforme pour les sans-papiers a appelé à la régularisation collective pour mettre fin à la précarité et garantir l’accès à la santé et aux assurances sociales, des quelque 100000 personnes sans papiers en Suisse. Car la crise est loin d’être terminée. Dans un communiqué, elle alerte: «A l’heure actuelle, il est difficile de trouver un nouvel emploi, et une réduction de quelques heures seulement du temps de travail suffit pour que la nourriture ou le loyer ne puissent plus être payés.» Cette plateforme – qui réunit des ONG, des associations, des Eglises et des syndicats – souligne que, «en tant que société, nous avons tout intérêt à ce que la santé, l’éducation, le travail et la justice soient accessibles aussi aux sans-papiers. C’est la seule manière de nous prémunir contre les abus et de combler les lacunes de la législation en vigueur (…). La Suisse doit réitérer son attachement aux droits fondamentaux pour toutes les personnes vivant en Suisse.»


Teresa*, 46 ans, Hondurienne

«Je m’occupais du nettoyage, du repassage, des repas des deux enfants et du chien, trois jours et demi par semaine. Le couple suisse, tous deux avec de bons postes et de très bons salaires, me versait 11,50 francs l’heure**. Le salaire mensuel se montait entre 1200 et 1500 francs. En 2019, j’ai eu droit à quatre semaines de vacances payées. Au moment du confinement, ils m’ont dit de ne plus venir, du jour au lendemain. Peut-être qu’ils pensaient que les quelques membres de ma famille vivant en Suisse m’aideraient, mais cela n’a pas été le cas. En allant au Point d’eau pour une visite médicale, j’ai appris que je pouvais demander une aide à Caritas. Heureusement, j’ai reçu 1700 francs pendant la période du semi-confinement et des bons pour l’Epicerie (magasin de Caritas). Le loyer de ma chambre se monte à 700 francs. J’ai toujours été logée chez des personnes d’origine étrangère elles-mêmes sous-locataires. Mon bailleur a baissé le loyer à 500 francs. On m’a dit que je pouvais porter plainte contre mes employeurs, mais j’aurais honte de le faire. Ils ne m’ont jamais maltraitée. Après le confinement, ils m’ont proposé de retourner travailler chez eux, mais deux jours par semaine. J’ai accepté, mais c’était beaucoup plus stressant qu’avant, comme si je devais faire la même quantité de travail en beaucoup moins de temps. Puis, ils ont voulu que je répartisse mes heures sur plusieurs jours, et là, j’ai refusé. Il me faut presque une heure pour arriver jusque chez eux en bus. En plus, je devais payer mon abonnement TL, même s’ils ont consenti enfin à me rembourser les trajets les jours où je travaillais. En ce moment, je m’occupe de trois enfants dans une famille près de chez moi, qui me donne 10 francs l’heure. Ce n’est pas mieux financièrement, mais au moins, je suis à côté. Je fais aussi du nettoyage pour 20 francs l’heure. Je pense que je retournerai un jour au Honduras, même si j’apprécie la sécurité en Suisse. Les vols à l’arrachée, ou à main armée, sont si fréquents à Tegucigalpa (la capitale) qu’on sort la peur au ventre. Ici, je me sens en sécurité, je n’ai jamais subi de contrôle de la police et je n’ai pas peur d’elle, car je ne fais rien de mal. Mon fils de 25 ans, avec qui je communique deux fois par jour, et ma mère sont là-bas. Mon père est mort en février d’un problème respiratoire. Peut-être du Covid. On ne sait pas. Je lui ai parlé le jour avant son décès, mais je n’ai pas pu rentrer pour son enterrement. Cela me rend très triste. En ce moment (mi-septembre, ndlr), les personnes qui arrivent au Honduras doivent effectuer une quarantaine dans un stade insalubre. Dans le pays, il n’y a pas de travail, les habitants ne peuvent sortir qu’un seul jour par semaine, et les hôpitaux sont saturés. Ce n’est vraiment pas le moment de rentrer.»


Marco*, 41 ans, Equatorien

«Je suis parti de mon pays pour l’Espagne par esprit d’aventure. C’était en 1997. En 2015, à cause de la crise en Espagne, je suis venu en Suisse. J’ai passé quatre mois au bunker de la Vallée de la Jeunesse à Lausanne, le temps de trouver du travail et une chambre. Il s’agit d’être fort dans sa tête pour supporter ces conditions. Certaines personnes vivent dans la rue ou dans leur voiture depuis plus de dix ans. Pour ma part, en tant que cuisinier, je trouve du boulot dans des restaurants, mais surtout dans des petites entreprises de construction, ou de paysagisme parfois. Je suis toujours prêt à travailler et, sans vouloir me lancer des fleurs, je travaille bien. Je suis appelé régulièrement par des chefs, espagnols et portugais surtout. Mais les mandats sont courts, car ils ont peur des contrôles. Cela m’est arrivé une fois. J’ai dû payer, si je me rappelle bien, 800 francs d’amende. Ces petites entreprises me rémunèrent entre 100 et 200 francs par jour. J’arrive à gagner environ 2500 francs par mois. Une fois, j’ai reçu 3000 francs d’un coup dans une enveloppe. J’ai remercié Dieu en pleurant. Si un jour j’arrive à 4000 francs, ce sera le bonheur! J’ai ma carte de résident espagnol. Je devrais faire les démarches pour la naturalisation là-bas, ce qui me permettrait de travailler légalement ici. Je n’ai pas peur de me promener dans la rue. Je ne fais rien de mal, je ne suis pas un délinquant, je travaille. J’ai une assurance maladie et des subsides.

Au moment du confinement, cela a été difficile. Du jour au lendemain, je n’ai plus eu de rentrée d’argent. Rien, pendant trois mois. J’ai dû mendier de la nourriture. C’était très dur. Merci à Dieu, une Eglise m’a donné 1000 francs. La Croix-Rouge voulait m’aider pour mon loyer, mais elle avait besoin d’un reçu que mon bailleur n’a pas accepté de me donner. Personne ne souhaite se mouiller. Je paie 900 francs par mois pour une chambre. J’ai de la chance que l’on ne soit que deux dans l’appartement. Il m’est arrivé d’être dans une location avec quatre autres sans-papiers. Je dirais que, depuis août, ça va un peu mieux question boulot. Je sais qu’on m’exploite, mais que puis-je y faire? J’espère qu’un jour j’aurai mon passeport espagnol et que je pourrai travailler ici légalement.

J’envoie 300 à 400 francs par mois à mes enfants (qui sont majeurs) et à ma mère en Equateur. Si j’étais en Espagne, je ne pourrais pas les aider. Mes enfants et mon ex-femme sont partis d’Espagne, comme beaucoup d’autres Equatoriens, lorsque Rafael Correa est parvenu au pouvoir. Depuis l’arrivée de son successeur Lenín Moreno, beaucoup reviennent. C’est la catastrophe là-bas. Et encore davantage avec le Covid-19. Je me suis habitué aux traditions européennes. J’ai passé la moitié de ma vie en Europe. Je ne me vois pas repartir en Equateur. Chaque être humain a droit à un travail digne. La terre appartient à tous. Ce sont les hommes qui ont mis les frontières.»

*Prénoms d’emprunt.

**Dans l’économie domestique, depuis 2011, un contrat-type de travail (CTT) prévoit pourtant un salaire minimum de 19,20 fr. (pour les travailleurs non qualifiés) et de 21,55 fr. avec le supplément vacances de quatre ou cinq semaines (selon les cantons) et neuf jours fériés.

De la précarité des permis

La crise liée au Covid-19 a fragilisé les personnes sans papiers, mais aussi celles dont les permis sont précaires. «Un grand nombre des requêtes pendant le semi-confinement ont concerné les conséquences d’une demande d’aide sociale sur le renouvellement du permis B ou sur l’acceptation de leur demande de regroupement familial. Au point que plusieurs personnes ont préféré s’endetter plutôt que de solliciter une aide à l’Etat», souligne Guadalupe de Iudicibus, assistante sociale à la Fraternité. «Les demandes d’aide financière ont concerné principalement les primes de l’assurance maladie, le loyer et internet pour que les enfants puissent suivre le programme scolaire.» La crise sanitaire pourrait avoir comme conséquence que des Européens avec un permis L ou même des permis B tombent dans l’illégalité faute d’autonomie financière. De surcroît, l’impossibilité de payer les cotisations à l’assurance maladie pourrait aussi restreindre l’accès aux soins. Ce printemps, dans une lettre ouverte adressée aux autorités fédérales et aux communes vaudoises ainsi qu’au Canton de Vaud, des associations, des partis de gauche et des syndicats réclamaient notamment la garantie du renouvellement du permis de séjour y compris en cas de recours à l’aide sociale.

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