Les Genevois doivent se prononcer le 19 mai sur un volet local de la réforme fédérale que la gauche et les syndicats appellent à rejeter
A Genève, toute la gauche est vent debout contre la réforme fiscale des entreprises et le financement de l’AVS (RFFA) soumise en votation le 19 mai. Particularité locale, les citoyens du bout du lac sont aussi appelés à se prononcer sur un volet local de la réforme. Le comité unitaire «2 x NON à la RFFA» a lancé sa campagne la semaine dernière. Après avoir été les artisans du projet cantonal au Grand Conseil, le Parti socialiste a finalement rejoint le camp des opposants. Voulue par le Conseil d’Etat et la majorité du Grand Conseil, cette réforme fiscale cantonale propose d’établir un taux unique d’imposition du bénéfice des entreprises à 13,99%, contre 24,2% aujourd’hui pour les sociétés suisses et 11,6% pour les multinationales. Les pertes fiscales estimées par les autorités s’élèvent à 186 millions de francs pour l’Etat et à 46 millions pour les communes.
«La RFFA n’est fondamentalement pas différente de la RIE III, que le peuple a rejetée en 2017. L’assiette fiscale va être réduite, avec les différentes déductions prévues, la moyenne de ce que paient les entreprises va descendre à 10,2% environ. Il s’agit d’un transfert vers les plus fortunés de la richesse produite par la population», a expliqué devant la presse Paolo Gilardi, militant du Syndicat des services publics.
«Nous avons déjà des services en sous-effectifs, comment pourrons-nous engager du personnel pour faire face aux besoins de la population qui augmente?» interroge Marc Simeth, président du Cartel intersyndical de la fonction publique.
«Logique de dumping»
Le but proclamé de la réforme est pourtant d’améliorer les conditions-cadres et de favoriser la croissance. «Ça ne tient pas la route, ce n’est pas parce qu’on réduit l’impôt des entreprises qu’elles vont investir dans l’économie, si c’était aussi facile, ça se saurait. Si une entreprise investit, c’est qu’elle estime qu’il y a un marché et rien ne l’empêche de le faire aujourd’hui», conteste Davide De Filippo, vice-président de la CGAS, qui qualifie le projet de «marché de dupes».
Il s’agit aussi de contrer la concurrence fiscale des autres cantons alors que le taux d’imposition vaudois se monte à 13,79% seulement. «L’écart existe déjà, ce n’est pas pour cela que les entreprises ont déménagé de l’autre côté de la Versoix», relève Paolo Gilardi.
La droite agite tout de même le spectre de 60000 emplois menacés. «C’est ce qu’on nous disait déjà pour la RIE III, cela n’a pas été le cas, c’est un mensonge. Rien ne nous garantit, par contre, qu’en cas d’acceptation ces emplois resteront. Dans le canton de Vaud, 1500 emplois dans ce secteur ont été délocalisés depuis l’entrée en vigueur de la réforme cantonale. Là où il y aura une contraction des emplois, c’est absolument certain, c’est dans les services et les investissements publics», prévient Davide De Filippo.
De son côté, Jean Rossiaud dénonce une «logique de dumping insupportable» d’un point de vue écologique, social et de solidarité. Pour le député Vert, il faut, au contraire, «repenser l’économie» et «baisser la part des multinationales dans le PIB genevois». «Les statuts spéciaux sont à remplacer par des statuts écologiques», lance-t-il.
Compensations «fantaisistes»
Le paquet ficelé comprend deux mesures sociales compensatoires: un financement cantonal pour l’accueil de la petite enfance et une augmentation de l’aide au paiement des primes maladie. La première disposition rapporterait 18 millions aux crèches par une ponction de 0,07% sur la masse salariale. La seconde se présente comme un contre-projet à une initiative de la gauche visant à plafonner les primes à 10% du revenu. L’idée est que, pour un franc de perte fiscale sur le plan cantonal du fait de la réforme, un franc soit alloué aux subsides maladie. Les charges de l’Etat seraient donc alourdies d’autant. «C’est tout à fait fantaisiste», s’amuse Guilhem Kokot du Parti socialiste, qui relève que «si la droite voulait vraiment une compensation sociale, elle aurait trouvé le moyen de la lier à la réforme fiscale». Quant aux crèches, le militant socialiste rappelle qu’elles dépendent des communes, qui risquent d’êtres déçues. «Elles n’auront pas d’autres choix que de réduire ou de suspendre les politiques en faveur de la petite enfance.»
«Les communes sont les grandes oubliées de cette réforme, elles seront pourtant largement touchées. Environ 40% de l’impôt des entreprises leur sera perdu, cela représente en moyenne 10% des recettes fiscales des communes et jusqu’à 30% pour celles qui hébergent de nombreuses entreprises. Il est sûr qu’on ira vers une augmentation du centime additionnel et, en cas de refus, vers une baisse de prestations, pointe Jean-Luc Ferrière, secrétaire syndical du Sit. On nous enfume quand on dit que c’est une réforme équilibrée.»