Peintre et plasticienne, Anne-Lise Saillen voue un amour particulier aux arbres. Question d’enracinement et de verticalité
Singulière trajectoire que celle suivie par Anne-Lise Saillen âgée de 72 ans. Adolescente, elle se rêve danseuse classique. Elle deviendra peintre et avocate. La première activité répond à un besoin intrinsèque d’expression artistique, la seconde a été non seulement motivée par la nécessité de gagner sa vie mais aussi par son intérêt pour la justice et l’aide aux personnes. «Inquiets pour mon avenir, mes parents m’ont poussée à choisir un métier viable, soulignant la chance que j’avais de pouvoir me former. Ils estimaient que, dans ce sens, j’avais aussi un devoir envers la société», raconte la Lausannoise, qui mènera longtemps de front sa passion et sa profession. Au terme d’études de droit qualifiées de mortellement ennuyeuses – «Non pas la matière, mais la manière de l’enseigner», précise-t-elle –, Anne-Lise Saillen part à Munich où elle rédige une thèse sur la protection de la personnalité dans le cadre du travail. Elle s’accorde ensuite une pause, suivant des cours «très académiques» à l’Istituto per l’arte e il restauro à Florence. De retour dans la capitale vaudoise, elle entame son stage d’avocate et, à son issue, consacre une année sabbatique à son art. La jeune femme d’alors opte pour New York et fréquente l’atelier de Richard Pousette-Dart, le plus jeune représentant de l’expressionnisme abstrait.
Ingéniosité de la nature
Rentrée en Suisse, Anne-Lise Saillen partage son temps entre le barreau et la peinture. Neuf ans plus tard, elle remet son étude et limite l’exercice de sa profession à des cours comme maître assistante à l’université et juge cantonale suppléante. Histoire de faire bouillir la marmite. Le temps libéré ouvre à l’artiste un éventail de possibilités créatrices. Touche-à-tout, elle passe indifféremment des crayons à l’aquarelle, de la sculpture aux collages ou encore aux installations... L’approche abstraite – qui lui permet de moins s’exposer, de la protéger du regard des autres – s’estompe dans sa pratique. Au profit de paysages et, plus particulièrement, d’arbres, tissant des liens entre ses œuvres. «L’arbre m’a toujours accompagné. Enfant, je me rappelle avoir rédigé une rédaction sur l’abattage d’un cerisier et la tristesse générée par sa disparition.» Et la septuagénaire d’enchaîner, enthousiaste: «L’arbre tend un miroir aux humains. Il est enraciné dans le sol, comme nous dans une culture. Il a besoin de lumière, nous de verticalité. Résilient, il se débrouille pour trouver sa nourriture, contourner les obstacles. Il communique et agit solidairement avec ses pairs... Nous devrions nous en inspirer. Nous montrer plus modestes par rapport à l’ingéniosité de la nature.» Cette fascination a aussi trouvé un ancrage dans la dernière exposition à Lausanne d’Anne-Lise Saillen intitulée Et les arbres demain? Une démarche entre art et science, mâtinée des dernières découvertes en la matière et de poésie témoignant de la grande sensibilité de la créatrice. De quoi offrir un «surplus de sens» à sa pratique*.
Partie d’un tout
Vivant à un jet de pierre d’une forêt, sur les hauts de Grandvaux, Anne-Lise Saillen arpente régulièrement ce milieu régénérateur, réservoir de bien-être et d’émerveillement, et véritable «nourriture intérieure». De ses observations et de ses promenades naissent des tableaux intimes ou imposants. Des arbres vertigineux tendant leurs bras décharnés au ciel dans de muettes incantations, des cathédrales végétales formées d’un foisonnement de troncs forts et puissants, de délicats rameaux aux feuilles bruissant dans le vent et la lumière... Autant de beaux tableaux plaidant, en filigrane, en faveur de la protection de l’environnement. Une préoccupation planétaire qu’illustre encore l’artiste à travers des fragments de cartes géographiques peintes, dans lesquelles elle découpe des arbres caractéristiques des régions du globe choisies. «Nous sommes tous sur le même bateau et appartenant au cosmos, à un tout qui nous dépasse. Les religions et la philosophie ont tenté des réponses. Pour ma part, je n’aime pas l’idée de Dieu qui dresse des barrières entre les êtres...» Sans souscrire à des croyances en particulier, Anne-Lise Saillen a en tout cas le sentiment, à travers son art, d’agir en accord avec sa vie. «Je fais ce que l’univers attend de moi.» De quoi rendre heureuse cette optimiste – «Sauf pour l’avenir du monde» – qui, bien que solitaire et indépendante, n’en apprécie pas moins les échanges «de cœur à cœur». Et précise s’intéresser à une multiplicité de sujets. Comme la politique... propre aussi à susciter sa colère.
L’âge, cet atout
«A chaque votation, quand il s’agit de protéger le climat ou de mieux partager les richesses, c’est le même scénario: les opposants attisent la peur», s’indigne cette femme au cœur bien ancré à gauche, qui se dit aussi irritée par le manque de respect et d’empathie, «ce minimum pour vivre ensemble». Heureusement, son âge, considéré comme un atout, lui a appris à prendre de la distance. «Les années permettent de simplifier, rendent les choses plus légères.» Sauf peut-être quand s’il s’agit de se promener seule la nuit dans la forêt. «C’est une de mes angoisses. Parfaitement irrationnelle. Nourrie par un imaginaire qui, au moindre bruit, s’emballe, des archétypes liés aux histoires d’enfant et de loup. J’aimerais parvenir à surmonter cette crainte et, accompagnée de ma sœur, passer une nuit en forêt.» Un souhait dans l’ordre du réalisable: Anne-Lise Saillen n’est-elle pas l’amie des arbres et leur grande admiratrice? Cette artiste capable en quelques traits de rendre compte de leur force comme de leur fragilité? Cette peintre et plasticienne qui perçoit dans cette inépuisable source d’inspiration, un «symbole de vie en constant changement, un symbole de l’Homme appelé à croître, à se dépouiller, à revivre»? K