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«Le changement vient toujours du bas»

femme assise
© Thierry Porchet

Sur les bretelles d’autoroutes ou la scène du festival de Locarno, Cécile Bessire alerte avec son corps et son cœur, même si elle n’aime pas s’exposer.

Cécile Bessire est cofondatrice du mouvement Renovate Switzerland. Elle a quitté son poste de logopédiste pour militer à plein temps

Depuis les premiers blocages d’autoroutes en avril 2022, Cécile Bessire a répondu à des centaines de médias. Cofondatrice et porte-parole du mouvement pour le climat Renovate Switzerland, elle cumule les actions non violentes. La dernière en date a eu lieu au festival de Locarno. Le 7 août dernier, avec un camarade de lutte, elle s’élance sur la scène de la Piazza Grande, se colle la main, entend un homme les huer, puis voit le directeur du festival leur tendre le micro afin de leur permettre de parler de l’urgence climatique. Sous les applaudissements nourris du public, les deux militants seront ensuite escortés par la police… sur le tapis rouge. Un moment surréaliste et euphorique. «Mais je n’aime pas m’exposer comme ça, ni me coller la main, ni être arrêtée, ni fouillée… C’est tellement désagréable. J’ai peur à chaque fois», explique Cécile Bessire, mue par son seul besoin d’agir pour le climat. «Je me mets dans une sorte de bulle de protection, dans le moment présent, et j’en oublie ma peur. A Locarno, c’était hyperfort, car on a reçu un réel soutien. Ça donne du courage.» Dans un café, à Bienne, elle explique son engagement. Son calme et sa douceur contrastent avec la radicalité des actions, même si toujours pacifiques, de Renovate Switzerland.

Reconnaître la gravité

Face aux invectives des automobilistes et aux messages de haine postés sur la Toile, notamment lors du blocage au tunnel du Gothard à Pâques, elle relativise: «Je ne prends pas les messages personnellement, et je comprends que ce soit difficile d’être confrontés à la réalité. La majorité des gens sont conscients de la catastrophe climatique. Et toutes les nouvelles de cet été en sont des exemples dramatiques. Nos actions renvoient à cette question douloureuse: comment y faire face?»

Le 14 juin, Cécile Bessire était aussi l’une des trois femmes à s’asperger de peinture noire devant La porte de l’Enfer de Rodin devant le Kunsthaus de Zurich pour illustrer la souffrance de millions de personnes frappées par les changements climatiques. Quelles que soient les actions de désobéissance civile, le message de Renovate reste le même: le Gouvernement suisse doit reconnaître la gravité de la situation, déclarer l’urgence climatique et proposer un plan immédiat pour la rénovation thermique de tous les bâtiments du pays d’ici à 2030.

En septembre, des marches lentes s’organiseront pour mobiliser plus largement. «Ces marches seront plus faciles d’accès que les blocages. Si nous informerons la police avant, nous ne demanderons pas d’autorisation. Car, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le droit de manifester ne nécessite pas un accord des autorités», souligne la militante, qui prône un mouvement collectif massif en rappelant que «Greta a commencé seule!».

Frapper les consciences

L’affiche mensongère, générée avec l’IA, du PLR montrant des activistes bloquant une ambulance a été appréhendée par le mouvement de manière paradoxalement positive. «Nos actions ont pour but de faire parler du problème climatique. Cette affiche montre que ça marche. Notre impact le plus grand, c’est dans les têtes. Si l’opinion publique en arrive à ne plus trouver acceptable de consommer à outrance du gaz et du pétrole, les politiques changeront. Le changement vient toujours du bas, d’où l’importance des mouvements sociaux. On est sur la bonne voie. J’aimerais que ça aille plus vite, mais ça prendra le temps qu’il faudra.»

Pas de déclic, mais un long processus a amené la jeune femme de 28 ans à s’engager corps et âme. «J’ai toujours été très sensible aux injustices», souligne la logopédiste de métier, ayant grandi proche de la nature à Péry. «J’avais commencé par des études d’art en couture et design à La Chaux-de-Fonds, mais je me sentais inutile.» Six ans d’études intensives, un master et déjà de l’expérience professionnelle à son actif, la jeune logopédiste travaille avec des enfants en situation de handicap, quand, en 2019, elle assiste à une conférence d’Extinction Rebellion (XR). «Les informations scientifiques partagées alors m’ont montré que la situation était bien pire que je ne l’imaginais. J’ai donc décidé de me lancer dans la désobéissance civile.» Entre autres actions collectives d’XR, elle colle sa main sur le Palais fédéral, bloque un pont à Zurich, un magasin de vêtements à Bienne, campe sur la place Fédérale... Et démissionne. «Je ne pouvais plus faire les choses à moitié. J’adorais mon métier, apprendre à parler aux enfants, et parallèlement, je pensais à ce qui les attendait… J’avais besoin de m’engager entièrement pour leur avenir et le nôtre.»

«On fera de notre mieux»

Depuis, financièrement, elle vit très humblement de ses économies mises à l’origine de côté pour voyager. Elle reçoit aussi un salaire mensuel de Renovate Switzerland d’un peu plus de 1000 francs pour un taux de 25%, même si tout son temps est consacré au mouvement. «Parfois, je suis un peu nostalgique de ma situation d’avant. J’étais insouciante, j’avais des rêves, des projets. Maintenant, quand je pense au futur, je vois un trou noir», raconte Cécile Bessire sans perdre son sourire, se sentant libre, chaque jour, d’œuvrer à créer le monde dans lequel elle veut vivre. «On n’échappera pas à des crises alimentaires et sanitaires, mais on fera de notre mieux. Malgré des circonstances difficiles, je pense qu’on pourra vivre de belles choses. Les gens que je rencontre, la solidarité, le partage, me donnent beaucoup d’espoir et de force. Quand je travaillais avec des enfants en situation de handicap, je ne pouvais pas m’attendre à ce que leur handicap disparaisse, mais me réjouir de leurs petits progrès. Aujourd’hui, je suis heureuse également de chaque petit pas.» Pour exemple, elle pense à la réunion de la veille qui avait pour sujet le sentiment partagé d’être surchargé. «On n’a pas trouvé de solution, mais au final on a pris le temps de s’écouter et de se parler vraiment. Il y a tant de violence dans le monde, parce qu’on ne prend pas ce temps...»