Le chômage partiel, remède helvétique au coronavirus
Préservant les emplois et les compétences, les demandes de réduction d'horaire de travail devraient se multiplier dans les semaines qui viennent
Largement utilisé lors de la crise financière de 2009, le chômage partiel est l’un des principaux remèdes dont dispose la Suisse pour affronter la crise économique et sociale engendrée par le coronavirus. Pour rappel, les entreprises faisant face à une baisse provisoire d’activité peuvent diminuer le temps de travail du personnel, la durée chômée étant prise en charge à hauteur de 80% par l’assurance chômage. Ces indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail (RHT) ne peuvent être obtenues que sur une période de 12 mois, mais le Conseil fédéral a la possibilité de la prolonger à 18 mois. Voire plus. La conseillère fédérale Doris Leuthard l’avait fait monter à 24 mois. A l’époque, plus de 90000 salariés avaient été placés au chômage technique. La mesure avait touché surtout les régions industrialisées, 13% des actifs dans le canton du Jura et 11% dans celui de Neuchâtel. Selon une étude du KOF, le centre de recherche conjoncturel de l’EPFZ, le dispositif a permis entre 2009 et 2015 de réduire en moyenne le nombre de licenciements dans les sociétés concernées d’au moins 10% sur l’ensemble de leur personnel et, de fait, de dégager de substantielles économies pour la caisse de chômage. L’intérêt pour les entreprises et les branches économiques est aussi de conserver en poste des travailleurs qualifiés et expérimentés.
Tourisme et culture en première ligne
Depuis la crise née des subprimes étasuniens, les entreprises en difficulté ont continué à actionner cette option. Les derniers chiffres publiés par le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), en décembre dernier, montrent que 3279 collaborateurs de 151 sociétés étaient en RHT, pour 154535 heures chômées durant ce mois. Selon Boris Zürcher, chef de la Direction du travail du Seco interrogé par l’ATS, les demandes ont pris l’ascenseur à partir du 1er mars, suivant les mesures édictées par le Conseil fédéral pour lutter contre la propagation du virus. Si pour tout le mois de février, 18 requêtes en chômage partiel ont été accordées, 75 avaient déjà été concédées pour la seule première semaine du mois de mars. La majorité d’entre elles provenaient du canton de Zurich, de sociétés actives dans l’hôtellerie-restauration, le tourisme, la culture et l’événementiel, alors qu’habituellement, elles sont issues en grande partie de l’industrie des machines, des équipements électriques et de la métallurgie. «Il est difficile d’obtenir des informations, car la Convention collective des machines n’impose pas aux employeurs d’informer les syndicats sur le chômage partiel, mais je suis en train de récolter des indications auprès des régions d’Unia. J’ai l’impression qu’un certain nombre d’entreprises projettent d’y recourir et je pense que, dans les jours et les semaines à venir, beaucoup de cas devraient être annoncés», répond Manuel Wyss, responsable de la branche des machines d’Unia. Sur le canton de Genève, l’Office cantonal de l’emploi avait déjà reçu, du 2 au 11 mars, 76 demandes d’entreprises concernant 1415 travailleurs, rapporte la Tribune de Genève. La RHT peut être sollicitée en raison d’une baisse provisoire des commandes, de la clientèle et de l’annulation d’un événement, mais aussi de la rupture des chaînes d’approvisionnement. Ce dernier motif concernant particulièrement l’industrie. «On risque de manquer de pièces fabriquées en Chine», appréhende Sylvain Schwab, secrétaire syndical d’Unia Neuchâtel et fin connaisseur du tissu horloger de l’arc jurassien.
Horaires fluctuants dans l’horlogerie
«Pour l’heure, il n’y a que peu de demandes de RHT, mais cela peut aller assez vite et concerner toutes les régions horlogères», indique Raphaël Thiémard, responsable de la branche horlogère et microtechnique d’Unia. Alternative à la RHT, la CCT de l’horlogerie a pour spécificité d’autoriser dans les entreprises, sous réserve d’approbation par les partenaires sociaux, les horaires fluctuants, soit la modulation de la durée hebdomadaire du travail, de 30 heures au minimum à 45 heures au maximum. «Nous en signons en ce moment, même si nous ne sommes a priori pas favorables à cette flexibilisation. Il n’est pas bon de se retrouver avec 50 heures au compteur à rattraper et de devoir travailler le samedi. Nous l’acceptons pour de courtes durées, après avoir consulté le personnel et dans l’optique de préserver les emplois.»
Unia veut une indemnisation à 100%
Reste que, pour les salariés, tout n’est pas rose dans le chômage partiel. D’abord en ce qui concerne l’indemnité, qui ne couvre que 80% du salaire chômé. C’est pourquoi Unia exige que l’intégralité du salaire soit versée et ce dès le premier jour en supprimant le délai d’attente. Le syndicat veut laisser la possibilité de prolonger la RHT jusqu’à la fin de la crise. «Nous demandons aussi l’élargissement du cercle des bénéficiaires aux employés payés à l’heure, à contrat à durée déterminée et aux temporaires», explique Mauro Moretto, responsable Unia de l'hôtellerie-restauration, secteur particulièrement concerné. Le Seco étudie cette semaine cette possibilité d’élargissement. Autre problème, les travailleurs en RHT sont obligés de chercher un emploi provisoire et se font embêter par les offices régionaux de placement. Cette obligation sera toutefois abolie dès le 1er janvier 2021, dans le cadre de la révision de l’assurance chômage dont le Conseil des Etats a mis mercredi dernier la touche finale. Enfin, depuis la semaine dernière, les formalités administratives ont été allégées, le délai de préavis a été réduit de dix jours à trois. C’était une demande des syndicats et de certaines branches que le chômage partiel soit ainsi accordé de manière «non bureaucratique».