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Le climat, la rénovation démocratique et ses mobilisations

Premier rappel: la mère des catastrophes est celle du réchauffement climatique qui commence à déployer sa couronne d’effets collatéraux sur les taux de mortalité dans nos sociétés humaines, sur les flux migratoires en croissance, les famines aggravées, sur les submersions territoriales et les désertifications massives. Dans quinze ans, comme les scientifiques s’accordent à le prévoir dix lustres après leurs devanciers du Club de Rome, les enfants nés au début de ce siècle habiteront vaille que vaille une autre planète.

Second rappel: face à cette circonstance, la stupidité collective au sein de notre espèce épaissit sans relâche. Les psychanalystes auront du travail au chevet du grand divan sociétal en essayant de percevoir chez leurs congénères leur angoisse et leur fuite. Leur angoisse enfouie dans leurs tréfonds psychiques au point de leur assigner le suicide inconscient, leur fuite assez éperdue dans l’ordre consommateur pour les distraire de leurs vertiges existentiels.

Sous le signe de ces bricolages on retiendra deux noms. D’abord celui du conseiller fédéral Ignazio Cassis, applaudissant la politique environnementale de notre pays qui peaufine l’apparence de son mérite en achetant ses droits de pollueur à des Etats moins argentés. Puis celui de son collègue Albert Rösti, marchand au long cours de combustibles fossiles avant d’être officiellement commis à la préservation de la nature et du vivant. Deux magistrats doucereux à qui j’ajoute le sultan al-Jaber ministre émirati, chef du géant pétrolier ADNOC et prochain président de la Cop 28 en la ville d’Abou Dhabi.

On en oublierait presque de joindre, à la liste de ces faux-culs représentant la seule espèce animale en voie d’expansion certaine, les dirigeants d’Exxon qui s’étaient parfaitement renseignés, dès les années 1970, sur le scénario climatique en cours – mais pour ne profiter de cette connaissance qu’aux fins de la démentir et produire une rhétorique plus propice à l’addiction consommatrice des populations.

Dès lors s’impose une réflexion sur le thème de la démocratie sous nos latitudes, chantée par maints soldats de l’autorité judiciaire appuyés par le cercle des politiciens que leur appartenance clanique transforme en machines à cracher le cliché conservateur. Et les incite à réprouver tout militant proclimatique non-violent dès lors qu’il effleure les frontières de la désobéissance civile instituée par le Code et la jurisprudence.

Le drame est que ces Messieurs sont des attardés chronologiques ne percevant rien du mouvement qui a déplacé la notion de l’intérêt général au sein de nos valeurs collectives. Alors qu’on l’avait situé jusqu’ici dans le cadre exclusif des communautés humaines, on s’aperçoit sous l’effet des dévastations climatiques qu’il en a débordé pour s’établir dans le rapport liant ces communautés à la biosphère: il indiquait le bien-être individuel moyen souhaitable au sein des corps sociaux, il touche à la survie de notre espèce.

Autrement dit la démocratie vantée par les procureurs, les juges et leurs soutiens politiques est dépassée par une démocratie rénovée qui postule au-delà de la Cité l’ajustement de l’Homo sapiens aux lois de son environnement – aucune n’excluant l’autre, bien sûr, mais la seconde valant au moins autant que la première. C’est en quoi le schéma s’est renversé pour transformer la position répressive de ces justiciers obsolètes en complicité délinquante à l’encontre du Vivant, et l’action de ces militants non-violents en sa défense vertueuse.

Telle est la pâte humaine contemporaine à remuer, lourde et tout attristée de grumeaux réfractaires. Mais à remuer comment? Au moins dire et méditer quelques phrases aux allures de programme. Par exemple, se tenir et travailler dans les marges en se rappelant que Jean-Luc Godard leur trouvait la qualité de faire tenir les textes. Ou chanter aux enfants les paradis de prairies et d’oiseaux que notre mémoire a conservés pour les induire à les restaurer.

Ou soutenir les scientifiques en alerte émotionnelle, qui donnent à mesurer le ridicule des instances académiques assurant très politiquement que le savoir est neutre. Ou se munir d’énergie poétique pour écarter le rideau des intelligences étroites et progresser vers la chair du monde.

Et marcher dans le paysage à la cadence des Terriens, enfin, pour s’imprégner de cette «écologie profonde» esquissée par le Norvégien Arne Næss il y a cinquante ans précisément, qui plaida la valeur intrinsèque des êtres et de la nature indépendamment de leur utilité pour notre espèce.