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Le franc doit servir l'économie réelle et non pas lui nuire

Face à la surévaluation du franc les syndicats demandent à la BNS et au Conseil fédéral de corriger le tir

L'abolition du taux plancher du franc suisse par rapport à l'euro est une faute grave. Dressant ce réquisitoire, l'Union syndicale suisse appelle les responsables à «replacer le franc à un niveau supportable» pour l'économie et l'emploi. En attendant, elle combat les tentatives inadmissibles de profiter de cette dérive monétaire pour faire pression sur les salaires et les conditions de travail.

Prise le 15 janvier dernier, la décision de la Banque nationale suisse (BNS) d'abolir le taux plancher du franc suisse face à l'euro continue à faire des ravages. La surévaluation d'environ 25% du franc engendrée par cette mesure brutale a fragilisé l'économie réelle, en particulier l'industrie d'exportation et le tourisme. Mais elle a également fourni le prétexte à des licenciements, des tentatives de baisse des salaires et de péjoration des conditions de travail.
Comment les syndicats analysent-ils cette situation, comment entendent-ils y faire face? L'Union syndicale suisse (USS) a livré ses réponses à la presse, vendredi dernier à Berne. Son président, Paul Rechsteiner, a souligné que l'abandon par la BNS du cours plancher «menace de devenir la plus grande faute économique commise depuis des décennies au détriment de la Suisse et de son économie». L'USS demande donc que le franc soit replacé à un niveau supportable, autrement dit idéalement à environ 1,30 franc pour un euro. Le syndicaliste rappelle que depuis 1978, la Suisse a toujours connu un taux plancher explicite ou implicite, à l'exception de l'année 2010 et début 2011, période durant laquelle les milieux prétendument avisés n'ont cessé de juger impossible la réintroduction d'un tel taux, cela jusqu'à l'été 2011 où cette mesure réclamée par les syndicats et les ténors de l'industrie a enfin été prise. «Etant donné que le choc monétaire du 15 janvier 2015 est beaucoup plus dur, on ne peut plus attendre plus d'un an avant que la BNS prenne un nouveau tournant.»
L'économiste en chef de l'USS, Daniel Lampart, souligne que rares sont les petits pays qui laissent ainsi flotter leur monnaie. Le Danemark ou Singapour ont par exemple lié la leur à des devises plus importantes.
La solution majeure se trouve donc à la BNS. Elle doit remplir son mandat consistant à conduire une politique monétaire dans l'intérêt général du pays. Un mandat qui comprend le combat contre la surévaluation du franc, contre la baisse des salaires et pour l'emploi. Or comme le souligne Vania Alleva, coprésidente d'Unia et vice-présidente de l'USS, «la décision de dérégulation prise par la BNS a conduit sans nécessité la Suisse au bord d'une grave crise. Il incombe à la BNS de nous sortir de cette pagaille. Les salariés ne sont pas prêts à payer pour une crise dont ils ne sont en rien responsables.»

Pierre Noverraz

 


Ce n'est pas aux travailleurs de payer les conséquences du franc fort

Vania Alleva, coprésidente d'Unia, lance un avertissement: «Le problème du franc ne doit pas être réglé sur le dos des travailleuses et des travailleurs!» La syndicaliste déplore que depuis la récente abolition du cours plancher, plus de 40 sociétés, dont une bonne partie situées dans les régions frontalières, ont déjà annoncé ou envisagé des mesures consistant à répercuter la crise du franc fort sur leur personnel, par le biais notamment de baisse des salaires ou des prolongations non rémunérées de la durée de travail. Parmi ces entreprises, «on trouve des petites PME et des multinationales réputées, comme Straumann. Et comme la plupart d'entre elles sont dépourvues de CCT, il est d'autant plus facile aux employeurs de régler le problème du franc sur le dos de leurs employés.»
A les entendre, les patrons qui se prévalent de telles mesures le feraient parce qu'elles seraient inévitables. Ils brandissent le spectre des licenciements et des délocalisations tout en soumettant leurs salariés à de fortes pressions pour les contraindre à accepter des réductions de salaire, des allongements de l'horaire de travail, ou le versement des salaires en euros. «Tant d'empressement montre que beaucoup d'employeurs profitent des circonstances pour réduire leurs coûts de personnel, et donc qu'ils mettent en œuvre des plans auxquels ils réfléchissaient depuis longtemps.»
Dans la même veine, le commerce de détail cherche à imposer, de concert avec le Département fédéral de l'économie, une extension des heures d'ouverture des magasins, au prétexte de lutter contre le tourisme d'achat. «Même un enfant saurait que l'essor du tourisme d'achat aux portes de la Suisse n'est pas dû à des horaires plus généreux, mais aux écarts de prix des produits.»
Vania Alleva a aussi présenté les réponses d'Unia (voir ci-dessous) pour empêcher le patronat de répercuter le problème du franc fort sur les salariés.
PN

 


L'éclairage et les solutions d'Unia

Résumé des principales revendications du syndicat:

1. Les restructurations internes aux entreprises ne permettront pas de régler la situation actuelle sur le marché des changes. Les mesures ponctuelles adoptées au détriment du personnel ne servent à rien. En réalité, il est urgent que la BNS agisse. Nous invitons les associations patronales à faire pression avec les partenaires sociaux pour qu'elle rétablisse un cours de change qui profite à la place économique suisse.

2. L'heure est venue pour le Conseil fédéral d'élaborer avec les partenaires sociaux une politique industrielle afin de préserver, voire renforcer, la place économique suisse. Unia a déjà formulé des propositions dans ce sens après la dernière crise financière. Mais les employeurs et le Conseil fédéral ont hélas fait la sourde oreille jusqu'ici.

3. Unia refuse par principe les réductions de salaire ou le versement systématique des salaires en euros. Ceci reviendrait à répercuter unilatéralement le risque d'entreprise sur les salariés, sans résoudre le problème du franc. Bien au contraire, les réductions des salaires sont fatales à la demande indigène, elles favorisent la déflation et mèneraient à une sérieuse récession.

4. Unia rejette aussi le versement des salaires en euros aux frontaliers. En 2012 déjà, un tribunal de Bâle-Campagne avait déclaré illégales de telles pratiques, car discriminatoires et contraires à la libre circulation. De plus, le paiement en euros des frontaliers met sous pression toute la main-d'œuvre occupée en Suisse et ouvrirait grande la porte du dumping salarial.

5. Unia estime que les augmentations de la durée de travail sont inadéquates. La Suisse fait déjà partie des pays européens où l'on travaille le plus longtemps. L'article 57 de la CCT de l'industrie MEM prévoit certes un tel moyen dans des cas tout à fait exceptionnels. Mais cela nécessite le consentement des partenaires sociaux ou des commissions du personnel. Unia n'est prêt à envisager des augmentations temporaires de la durée de travail qu'en dernier recours, moyennant une transparence complète de la structure des coûts et en échange de contreparties. Ce n'est que si un employeur justifie la nécessité de telles mesures et prouve qu'il a épuisé toutes les autres possibilités que nous serions disposés à négocier un accord d'entreprise comprenant impérativement la protection contre les licenciements, la garantie de maintien du site, et la renonciation de l'entreprise à verser des dividendes.

Mesures immédiates, mais avec des effets durables
Pour éviter les licenciements, la solution des indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail est une solution qui a fait ses preuves lors de la dernière crise. Il s'agit d'assouplir les conditions d'octroi de cette indemnité pour en faire bénéficier aussi les petites entreprises, en particulier dans le tourisme et l'hôtellerie-restauration. Le temps libre serait consacré à des mesures de perfectionnement professionnel ou de reconversion. Les difficultés auxquelles le tourisme est confronté ne sauraient cependant justifier les baisses des salaires car ces derniers sont déjà trop bas. Les partenaires sociaux de la branche examinent des solutions envisageables, comme par exemple un cours de change fixe et avantageux avec l'euro.
PN et Unia

 

 

Mythes et réalités sur les salaires
Baisser les salaires pour prétendre résoudre la crise du franc fort dans l'industrie est un leurre. Les salaires n'y représentent que 20% des coûts. De plus, de telles réductions entraîneraient un repli de la demande de l'économie intérieure, en particulier dans le commerce de détail et la construction. Quant à payer les frontaliers en euros, ce ne serait pas seulement illégal mais aussi un appel d'air pour le dumping salarial.
PN

 


«Questions et réponses sur le cours du franc»
Sous ce titre, Unia a mis en ligne sur son site Internet un intéressant argumentaire répondant de façon pratique et simple aux dizaines de questions que l'on peut se poser à ce sujet. Petit échantillon: Pourquoi le franc est-il surévalué? Pourquoi les baisses des salaires sont-elles dangereuses? Que doit faire un hôtel si sa clientèle européenne annule ses réservations?
Rendez-vous sur www.unia.ch/fr/campagnes/cours-du-franc
PN