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Le prix meurtrier des brevets

Ségrégation vaccinale mortifère. Depuis le 2 octobre 2020, 10000 personnes en moyenne sont décédées, chaque jour, du coronavirus dans le monde. Un chiffre qui aurait pu être limité si les demandes de levée des brevets sur les vaccins déposées à cette date par l’Inde et l’Afrique du Sud avaient abouti. Des requêtes vitales, auxquelles se sont associés nombre d’autres Etats, d’ONG, d’organisations de travailleurs, d’associations citoyennes, de partis politiques, de personnalités, de Prix Nobel, etc. En vain. Ni des poids lourds comme l’OMS promouvant cette solution, ni l’appui de puissants comme le gouvernement Biden ne sont parvenus à lézarder le mur d’égoïsme de la Big Pharma protégeant ses juteux business, avec la bénédiction de l’Union européenne et de la Suisse. La semaine dernière, alors que le Conseil des Accords sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) de l’OMC se réunissait à Genève remettant la question sur la table, une nouvelle offensive en faveur d’une plus grande solidarité a été menée. Des manifestants d’horizons divers se sont mobilisés pour défendre le droit fondamental à la santé pour tous. Un droit que la pandémie, qui par définition ne connaît pas de frontières, devrait – dans un scénario privilégiant, à défaut de l’entraide, le bon sens – aller de soi. Comment, en effet, envisager une sortie de crise sans offrir à l’ensemble de la population mondiale un accès au bouclier protecteur de la piqûre. Quelle efficacité offre un vaccin si des milliards de personnes en sont privées?

Aux morts évitables s’ajoutent les menaces pesant sur la reprise économique. Profitant de la rencontre du Conseil des ADPIC, au demeurant stérile, la Fédération internationale des ouvriers des transports a adressé une lettre ouverte aux instances gouvernementales helvétiques, britanniques, allemandes et de l’UE. Elles qui refusent activement une dérogation temporaire aux règlements de la propriété intellectuelle. Plus de 370 syndicats – représentant 12 millions de travailleurs de 118 pays – n’ont pas mâché leurs mots, dénonçant notamment l’opposition «criminelle» de la Suisse à la suspension provisoire des brevets. Ces brevets qui entravent une production plus rapide des vaccins comme l’accès aux technologies alors qu’on approche des 5 millions de morts à l’échelle planétaire. Pas de quoi ébranler les autorités suisses arguant qu’un système d’exemption dissuaderait les géants de la chimie d’investir rapidement dans la recherche et le développement de traitements et de médicaments innovants. Une posture qui laisse pour le moins songeur sachant l’importance de la manne publique injectée dans la réalisation en des temps records des vaccins. Mais l’appétit de groupes pharmaceutiques, servis par leurs influents relais dans les sphères dirigeantes, semble insatiable. Quand bien même leurs retours sur investissement se chiffrent d’ores et déjà en milliards. Tout comme le prix de l’inégalité vaccinale qui non seulement allonge de manière abjecte la liste des décès mais compromet aussi la relance et les activités. Le maintien de cette situation coûtera, ces prochaines années, selon les estimations du FMI, 5300 milliards de dollars à l’économie mondiale.

Sans changement de paradigme, la fracture vaccinale continuera à se creuser, le risque de voir émerger de nouveaux variants plus contagieux et résistants, à planer sur un monde déjà largement fragilisé. Avec, pour conséquence, de prolonger la crise et son prix humain. D’accroître la souffrance et la précarité, le système de redistribution Covax s’avérant largement insuffisant. Aujourd’hui, moins de 3% des populations des pays à bas revenus ont bénéficié d’une injection. Plusieurs Etats riches – qui se sont rués sur les stocks disponibles – battent pour leur part déjà le rappel pour une troisième piqûre. Non sans une dose de cynisme...