L’incroyable itinéraire de Gérard Filoche, inspecteur du travail parmi les plus redoutés de France, infatigable militant de la gauche politique et syndicale, fondateur de la revue Démocratie & Socialisme
Bien connu de certains militants d’Unia, Gérard Filoche ne se lasse pas d’écrire. Cette année, il a publié plusieurs ouvrages, dont un est le premier volume de ses Mémoires, alors que le deuxième est un texte contre le racisme.
Mai 1968 vivant
Le premier livre porte un très beau titre: Le social au cœur. Mai 1968 vivant. Mémoires (1945-1994) (Paris, Editions de l’Archipel). Cet ouvrage est un instrument important pour comprendre l’histoire des mouvements sociaux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la fin du XXe siècle. «En Mai 1968, explique Gérard Filoche, j’avais un peu plus de 20 ans. J’étais fils d’ouvrier et c’est ma classe sociale qui était en mouvement. J’en étais le produit, j’en étais l’acteur. J’en suis resté pénétré.» Autant dire que ce récit est ancré dans l’action quotidienne et que pour Gérard Filoche, Mai 68 n’est pas seulement un souvenir, mais un symbole vivant des luttes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Passé de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, trotskiste) au Parti socialiste (PS), Gérard Filoche a toujours été un unitaire. Contrairement à certains de ses anciens amis d’extrême gauche, Gérard Filoche défend farouchement les acquis des deux premières années du premier septennat de François Mitterrand: 39 heures payées 40, cinquième semaine de vacances, retraite à 60 ans, augmentation de 10% du Smic, Lois Auroux sur l’expression des travailleurs dans les entreprises, nationalisation des grands groupes industriels et bancaires, recrutement de dizaines de milliers de fonctionnaires, impôt sur les grandes fortunes, remboursement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), abolition de la peine de mort. Toutes ces conquêtes feront dire à Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste français (PCF), que le bilan de la première année de la gauche était «mieux qu’en 1936» (année du Front populaire, ndlr). De son côté, François Ceyrac, alors président du Centre national du patronat français (CNPF), s’exclamera: «C’est pire qu’en 36.» Les années 1981-1982 voient ainsi se réaliser une partie des aspirations de Mai 68, ce qui n’empêche pas Gérard Filoche de souligner que sur l’ensemble des deux septennats de François Mitterrand, le chômage s’est aggravé, alors que les inégalités se sont approfondies. Mais en apportant cette précision importante: «Tout cela s’est opéré dans un contexte où le capitalisme, drivé en Grande-Bretagne par Margaret Thatcher et aux Etats-Unis par Ronald Reagan, démantelait frontalement et rapidement les acquis des Etats dits “providence”, réduisant le mouvement syndical, cassant le droit du travail.»
Liquider Mai 68?
Au fil des ans, Mai 68 aura donc marqué fondamentalement l’histoire de France, voire de l’Europe. Ce qui n’empêchera pas Nicolas Sarkozy de déclarer, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, que Mai 68 «doit être liquidé une bonne fois pour toutes». Ce qui fait sortir Gérard Filoche de ses gonds: «Il faut être un bien petit individu pour vouloir faire disparaître une si grande page. C’est comme Adolphe Thiers (qui écrasa la Commune, ndlr): il voulut liquider jusqu’au souvenir de la Commune de Paris, mais c’est le souvenir de celle-ci qui demeure dans la mémoire humaine.»
Contre le racisme et l’antisémitisme
En novembre 2017, Gérard Filoche avait diffusé par inadvertance un tweet à connotation antisémite sur Emmanuel Macron. Même s’il avait été très rapidement effacé, ce tweet avait déclenché une très vive réprobation, Gérard Filoche et le PS finissant par se séparer. Dans Manifeste contre le racisme et l’antisémitisme (édité par Démocratie & Socialisme), Gérard Filoche prend prétexte de cette affaire pour condamner non seulement l’antisémitisme, mais aussi le nationalisme, la xénophobie et la persécution des migrants. Un texte dense, qui montre que la lutte contre toutes les formes de discriminations est partie intégrante du combat pour le socialisme.