Le travail 24 heures sur 24 à domicile mieux protégé
Un arrêt du Tribunal fédéral confirme que la Loi sur le travail doit s’appliquer à une personne engagée par une entreprise de location de services pour s’occuper d’un particulier dans son lieu de vie
«Les entreprises qui emploient du personnel assurant une prise en charge 24 heures sur 24 dans les ménages privés doivent respecter la Loi sur le travail.» Dans un communiqué publié le 19 janvier, le Syndicat des services publics (SSP) se réjouit d’avoir remporté une manche au Tribunal fédéral. L’arrêt rendu en décembre est un «succès syndical», note-t-il, qui permettra de mettre fin à des prises en charge 24 heures sur 24 par une seule personne.
Le SSP avait entamé une procédure en 2020, auprès du Tribunal fédéral après avoir été débouté par la cour administrative de Bâle-Ville, au sujet du contrat de travail d’une personne engagée par une entreprise de placement pour assister 24 heures sur 24 un particulier. Le contrat de l’aide-soignante prévoyait une durée de travail de 21 jours, week-ends compris, puis une rotation pour la même durée avec une autre employée. Le syndicat estimait que le contrat ne respectait pas les durées maximales autorisées par la Loi sur le travail et les périodes de repos. Une manière de faire, explique le SSP, fréquemment utilisée par les entreprises de location de services qui s’appuient sur un article de la Loi sur le travail précisant qu’elle ne s’applique pas aux ménages privés.
Le Tribunal fédéral a reconnu que, dans ce cas, s’agissant d’une relation contractuelle entre un salarié, une société d’intérim et une personne privée, la loi doit s’appliquer. Le SSP regrette néanmoins que cet arrêt ne concerne que cette configuration à trois acteurs: «La Loi sur le travail continue à ne pas s’appliquer lorsqu’une personne assumant la prise en charge est directement engagée, par contrat, par un ménage privé.» Il précise que, dans ces situations, les employés sont soumis au contrat-type de travail national pour les travailleurs de l’économie domestique, qui fixe des salaires minimums, et au contrat-type du canton concerné. Le syndicat demande que ce secteur, «connu pour pratiquer des conditions d’exploitation inadmissibles», soit réglementé au niveau national.
Unia est aussi engagé dans le secteur de la santé, en particulier pour le personnel des soins privés de longue durée. Comment le syndicat apprécie-t-il cet arrêt du Tribunal fédéral? Le point avec Véronique Polito, responsable de la branche et vice-présidente d’Unia.
L’arrêt du Tribunal fédéral brise une pratique des entreprises de location de services plaçant des employés 24 heures sur 24 dans des ménages privés en dérogeant à la Loi sur le travail. Comment Unia accueille-t-il ce jugement?
C’est une très bonne décision! Il existait déjà une jurisprudence au niveau cantonal et cet arrêt va permettre de faire respecter les dispositions légales en matière de temps de travail maximum, de temps et de jours de repos dans le domaine des soins et de l’accompagnement à domicile. Il fixe clairement que la Convention collective de location de services, et par là les entreprises qui lui sont soumises, doivent respecter la Loi sur le travail, même si le placement a lieu dans un ménage privé.
Cette CCT contient déjà des dispositions qui protègent les employés engagés selon le modèle live-in, c’est-à-dire vivant auprès des personnes qu’elles assistent. Elles prévoient de meilleures conditions que la Loi sur le travail: la durée du travail y est de 42 heures par semaine, payées au salaire minimum de la CCT, les heures supplémentaires sont réglementées, un supplément est prévu au-delà de 9,5 heures par jour et de 45 heures par semaine. Le travail du dimanche est payé avec un supplément de 50%*.
Pour les temps de présence la nuit, certains contrats-types cantonaux fixent des règles selon qu’il y a intervention ou non. Le Seco recommande une rémunération minimale de 5 francs l’heure. C’est bas, trop bas. Et ces dispositions ne sont pas contraignantes.
Quels sont les changements que l’arrêt du TF impliquera pour les employés à domicile placés par des maisons d’intérim?
Concrètement, le plus déterminant est le respect du temps de repos de 11 heures entre deux services et, en principe, d’une journée et demie de congé par semaine. Cela veut dire que, si une personne est de piquet pendant la nuit et qu’elle doit intervenir deux ou trois fois, l’entreprise de travail temporaire doit prévoir un remplacement le matin même. Ça l’oblige à avoir du personnel pour cela. Ce qui devrait déjà être le cas actuellement. S’il y a un besoin d’assistance jour et nuit, une organisation en trois fois huit, avec trois employés, est nécessaire.
Y a-t-il beaucoup de personnes recourant à une assistance 24 heures sur 24 en Suisse? Les entreprises de location de services actives dans ce domaine ont-elles été créées précisément pour ces situations?
Nous rencontrons très peu de cas de prise en charge réelle de 24 heures sur 24 à domicile, une telle assistance coûte très cher. Quant aux entreprises louant du personnel à des ménages privés, elles sont de plus en plus nombreuses. Leur émergence est favorisée par le nombre accru de personnes âgées souhaitant rester à la maison plutôt que d’aller dans un home. Ces sociétés offrent une large palette de services pour le maintien à domicile, et pas uniquement pour une présence continue.
Il existe aussi beaucoup de travail non déclaré dans la branche…
Nous sommes en effet confrontés à des sociétés d’intérim illégales basées à l’étranger, sans bureau mais avec un site internet pour recruter du personnel et attirer les clients. Ces entreprises sont quasi impossibles à contrôler et à sanctionner. Leur siège est hors de Suisse, elles sont très volatiles, changeant de site internet à tout moment, ou disparaissant simplement. Il faut savoir que les particuliers faisant appel à ces agences sont punissables vu qu’elles n’ont pas d’autorisation de pratiquer. Les sanctions peuvent aller jusqu’à plusieurs milliers de francs… Beaucoup de privés tombent dans le panneau, en se mettant dans l’irrégularité sans le savoir.
Les personnes engagées directement par des ménages privés ne sont pas soumises à la Loi sur le travail. Le SSP appelle à une réglementation nationale. Qu’en pense Unia?
Nous demandons également la soumission des ménages privés à la Loi sur le travail pour que tous les employés à domicile soient protégés. Les règles actuelles sont très complexes pour les personnes travaillant sans intermédiaire auprès d’un particulier. Le contrat-type national de l’économie domestique fixe uniquement le salaire. Les contrats-types cantonaux réglementent la durée du travail, qui peut être très longue. Mais ces derniers ne sont pas impératifs, la signature d’un contrat individuel permet d’y déroger.
* Voir le Commentaire CCT Location de services, art. 12 – services d’assistance, sur: tempservice.ch