Des artisanes romandes sont à l’honneur dans une exposition à voir jusqu’au 5 janvier à la Fondation Jan Michalski.
L’exposition s’ouvre avec une première photo, énigmatique, celle d’une main de travailleuse tenant une boule de verre. Entre force, délicatesse et dextérité, elle introduit les images suivantes et les objets retraçant le travail des dix-neuf artisanes présentées à la Fondation Jan Michalski à Montricher. Ce lieu consacré à la littérature et à l’écriture, dans une campagne vaudoise bucolique, offre, une fois n’est pas coutume, un écrin de choix au travail manuel.
A l’origine de cette exposition intitulée «Artisanes», il y a un livre du même nom, confectionné par le photographe Vincent Guignet et l’écrivain Blaise Hofmann.
Ce dernier nous fait l’honneur d’une visite guidée, en ce 14 novembre, jour d’ouverture de l’exposition qui coïncide avec la JOM (Journée oser tous les métiers) dans le canton de Vaud. Du haut de leurs 12 ans, Neo, Umâ et Lyna suivent une journaliste, pour découvrir des métiers aux noms parfois étranges, aux pratiques pour certains surannées ou encore largement occupés par des hommes, leur ouvrant ainsi le champs des possibles: courtepointière, forgeronne designer, sellière, factrice d’orgues, luthière, vitrailliste, découpeuse d’art, tisserande, souffleuse de verre, restauratrice d’art, linograveuse, mosaïste, relieuse, costumière, couturière, céramiste, bijoutière-joaillière, horlogère et tatoueuse.
Travail au long cours
Dans les photographies, les mains et les visages montrent l’habileté et une concentration sereine. Les matières se transforment, sur un fil entre l’artisanat et l’art. Au centre de la salle d’exposition, les artisanes ont choisi les outils et les objets à présenter. De ce patchwork coloré, tranchant avec le noir et blanc des images, émanent la précision du geste, les longues heures de travail, la beauté.
«Ces artisanes sont toutes différentes, mais avec certains points communs: elles sont très méticuleuses, endurantes, et tendent à faire toujours mieux…» explique Blaise Hofmann, qui ne cache pas son admiration.
Les rencontres se sont égrainées durant trois ans, en commençant par Bertille Laguet, forgeronne à Chexbres. «Elle avait fait les couronnes et les hallebardes de la Fête des Vignerons. C’est à cette occasion que je l’ai rencontrée», se souvient Blaise Hofmann, l’un des deux librettistes de l’événement en 2019.
S’ensuit, de bouche à oreille, un périple à travers la Suisse romande dans les antres des artisanes où le photographe tend à se faire oublier. Quand l’écrivain, lui, se laisse porter par la poésie d’un vocabulaire inconnu et par les invitations à pratiquer pour mieux comprendre et ressentir la matière. Lui, l’intellectuel, le manieur de mots et de pensées – mais également vigneron –, le voilà forgeant un clou.
Tisser des liens
Blaise Hofmann n’a de cesse de créer des ponts. Dans son livre précédent, Faire paysan, c’était entre la campagne et la ville, entre les agriculteurs et les gens qu’ils nourrissent. Dans ce projet-ci, le voilà qui crée la rencontre entre des artisanes et un public curieux, que ce soit à l’occasion de la publication du livre en octobre dernier ou lors du vernissage de l’exposition.
De nombreux métiers évoquent le passé, mais se conjuguent au présent et tendent vers un futur où le travail manuel pourrait regagner ses lettres de noblesse, en contrepoids à la virtualité qui nous assiège. «La tradition, c’est la transmission du feu et non l’adoration des cendres», cite Blaise Hofmann, qui a lu cette citation de Gustav Mahler sur le cartable de Marianne Dubuis, découpeuse d’art à Château-d'Œx. «Perpétuer la tradition est au cœur de leurs pratiques, mais sans rien figer, en étant toujours en mouvement.»
Si l’intérêt pour l’artisanat semble renaître, l’écrivain nuance: «Je crois qu’il y a une grande curiosité, mais celles et ceux qui se lancent dans ces pratiques restent peu nombreux. Pour acquérir une telle maîtrise, 10000 heures de pratique sont nécessaires.» Et d’évoquer la répétition des gestes qui devient rituel, jusqu’à la transe.
D’ici et d’ailleurs
Ces artisanes vivent et travaillent en Suisse romande. Certaines sont d’ici, d’autres ont des origines lointaines, telle Marli Beytrison. Cette avocate brésilienne s’est installée à Evolène par amour. Quelques années plus tard, elle a embrassé un deuxième métier, celui de tisserande, renouant avec l’artisanat pratiqué traditionnellement par sa mère au pays et celui de la tante, feu Marie Métrailler, de son époux valaisan.
Blaise Hofmann relate d’autres correspondances précieuses, troublantes, comme cette factrice d’orgues qui, lors d’une réparation, découvre par surprise, dans le couvercle de l’instrument – là où les réparateurs indiquent leur passage – le nom de son père, décédé dix ans auparavant. «Il ne voulait pas la former, car elle était une femme. Mais elle a réussi à le convaincre de lui apprendre le métier. Une manière aussi de connaître enfin son père toujours sur les routes…»
Blaise Hofmann, comme dans la postface de son livre, souligne enfin le côté militant de ces artisanes: «Elles privilégient une forme d’autonomie, en se réappropriant des pratiques, en créant leurs objets, en réparant, voire en fabriquant même leurs outils. Qu’elles en aient conscience ou non, dans leur rapport au temps et à l’argent, face à la surconsommation, aux lois du marché et au tout-virtuel, ce sont des résistantes.»
Au centre de la pièce d’exposition, chaque artisane a choisi de montrer une facette de son métier: des outils, un travail en cours ou des objets s’exposent au même titre que des œuvres d’art. Des codes QR permettent d’écouter des passages du livre «Les Artisanes». Photo : Fondation Jan Michalski, Wiktoria Bosc.