Alors que les négociations sont en cours pour la nouvelle Convention collective de travail de la branche suisse des électriciens, un travailleur nous parle de son métier. Reportage
Le temps est compté pour Miguel Viveiros. Electricien, chef de chantier diplômé, il accepte toutefois de nous expliquer les ficelles de son métier. «Une vocation», résume le trentenaire, Portugais d’origine, dont la passion transpire à travers ses explications. Sur le chantier d’un immeuble en rénovation, il présente la remise aux normes du système de chauffage et de climatisation, de l’éclairage, du contrôle d’accès, ainsi que des ascenseurs et des stores. Car la lumière ne représente que la pointe de l’iceberg de la profession. «L’électricien raccorde tout. Il est le premier arrivé et le dernier parti sur le chantier. Il assiste les différents corps de métier: le maçon, le chauffagiste, le sanitaire, le storiste, le ventiliste, le spécialiste du photovoltaïque… mentionne-t-il, un tournevis à la main. C’est un boulot de fourmi. On dirait que ça n’avance pas, jusqu’au moment où on presse sur le bouton, et que ça marche! C’est vraiment satisfaisant de voir notre travail se matérialiser.»
Dans la profession depuis une dizaine d’années, Miguel Viveiros a commencé sur les chantiers comme intérimaire. Depuis, il n’a cessé d’apprendre, jusqu’à devenir chef de chantier. «Dans ce métier, il faut être curieux, aimer la nouveauté, le changement, car tout évolue. Avec l’automatisation croissante, on doit se remettre à jour, en plus de s’adapter à chaque chantier. Ça devient de plus en plus complexe.»
De la diversité des tâches
Miguel Viveiros aime le travail bien fait et «joli» aussi. Dans la salle des machines, en sous-sol, il indique le cheminement des câbles bien alignés, la disposition des luminaires, les descentes et les chutes des fils installées pour ne gêner personne... «Regardez, le collègue a mis une colson (attache, ndlr) ici. Ça crée une belle forme, comme une pieuvre. On laisse les boucles, on arrête le tube et on le reprend ici… C’est de l’art!» En bon pédagogue, Miguel Viveiros ouvre les yeux des profanes sur la finesse et la beauté du labyrinthe. Puis, il indique la pompe à chaleur, là l’onduleur et ici l’exutoire de fumée… Autant d’éléments relégués dans le sous-sol, cachés, qui ont une répercussion sur toutes les personnes présentes dans les bureaux du bâtiment.
Le métier comporte une grande diversité de tâches, parfois physiques. «On fait de la construction métallique, on pique des murs, on porte des bobines de câbles qui peuvent peser jusqu’à 300 kilos, voire plus. L’autre jour, on était deux pour sortir des tableaux électriques. Au total, on a porté 600 kilos…»
En chef de chantier, Miguel Viveiros est le garant des délais. «Le gardien du temps comme dans Fort Boyard», rigole-t-il. Un de ces prochains samedis, pour ne pas déranger la centaine de personnes qui travaillent dans les bureaux de cet immeuble, lui et son équipe devront changer le tableau électrique principal. «On n’aura donc pas de courant. C’est ça le paradoxe du métier, on amène de l’électricité, mais on travaille sans. Tous nos appareils sont sur batteries», sourit-il, malgré le stress sous-jacent.
Sillonnant les couloirs du bâtiment occupé en partie, Miguel Viveiros ajoute: «Les gens sont souvent agacés ou dans l’incompréhension quand il s’agit de coupures électriques…»
Les plus mal payés
Le militant d’Unia, président du comité vaudois des électriciens, s’il ne se plaint pas personnellement, revendique de meilleures conditions de travail dans la branche pour les 24000 travailleurs soumis à la CCT nationale. «Ce n’est pas normal que nous soyons les plus mal payés sur les chantiers, alors qu’on risque notre vie et que nous sommes essentiels à chaque étape. Sans nous, rien ne fonctionne!» Le travailleur souligne aussi la complexité du métier et les règles de sécurité à suivre. «Nous sommes les seuls à avoir des contrôles au début, pendant et après les travaux. Notre métier manque de reconnaissance, parce qu’il est certainement le plus méconnu, même chez les architectes. Derrière un simple interrupteur, les manipulations sont nombreuses», ajoute-t-il. Face à la pénurie de main-d’œuvre, il partage la position syndicale. A savoir la nécessité de revaloriser la profession dans le cadre des négociations du renouvellement de la CCT nationale (qui ne concerne ni le Valais ni Genève, au bénéfice de CCT cantonales) qui expire en fin d'année. Soit une augmentation des salaires, une hausse du panier-repas, des trajets payés, une retraite anticipée à 62 ans, une semaine de plus de vacances…
Un sondage, réalisé par Unia auprès de 2000 professionnels, montre que 44% ont déjà voulu quitter la branche. Pour freiner l’exode des électriciens vers d’autres métiers, 63% d’entre eux estiment que l’augmentation des salaires minimums et des indemnités repas font partie de la solution; la diminution de la pression des délais et donc du stress serait également une mesure importante pour plus de 40% des travailleurs.
La branche connaît, de surcroît, un taux d’abandon en apprentissage particulièrement élevé. «Un apprenti doit être formé. Mais avec le stress sur les chantiers, il passe souvent au second plan. Et quand il se rend compte qu’il gagnera entre 4300 et 4500 francs à sa sortie, avec les risques et le stress en plus, il préfère changer de voie… déplore Miguel Viveiros. En plus, les intérimaires sont nombreux, et nous devons aussi les former…» En conclusion, le travailleur méticuleux ajoute: «Le bien-être des employés ne doit pas toujours passer derrière les bénéfices. Car le moral a un impact direct sur le travail et sur la santé physique et psychique. Comme les maçons, nous devons tous nous unir. Ce n’est pas en restant sur son canapé devant Netflix qu’on changera nos conditions…»
Dans le canton de Vaud, une assemblée générale est prévue le vendredi 9 juin à 19h, dans la Grande Salle de Bussigny (rue de Lausanne 1). Inscription (car repas offert) au: 076 378 48 97.
Pour signer la pétition pour une meilleure CCT, aller sur: unia.ch