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L’empreinte des Italiens à Lausanne

Vue de l'exposition: plusieurs cafetières italiennes.
© MHL/Marie-Lou Dumauthioz

L’Italianità. Vue de l’exposition.

Le Musée historique de Lausanne raconte, dans son exposition «Losanna, Svizzera», les 150 ans d’immigration italienne dans la capitale vaudoise et rend hommage à ces travailleurs qui ont forgé la ville

Voyage au cœur de l’épopée ayant conduit plusieurs générations d’immigrés italiens à bâtir Lausanne, ses ponts, ses bâtiments, son industrie et sa culture, une ville aujourd’hui imprégnée de cette Italianità. C’est à cela qu’invite le Musée historique de Lausanne (MHL) avec l’exposition «Losanna, Svizzera. 150 ans d’immigration italienne à Lausanne», qui a ouvert ses portes le 18 août et les refermera le 9 janvier prochain. Repoussée en raison du Covid, l’exposition s’était dévoilée l’année dernière en publiant ce qui constitue son fil rouge: une série de témoignages d’Italiens et d’Italiennes lausannois rassemblés dans un livre*. L’exposition s’adresse aux jeunes de la ville qui ne connaissent pas ou peu leur passé, mais également aux moins jeunes de partout, tant le message est universel.

«On avait appelé des bras…»

A l’entrée du Musée, niché au pied de la cathédrale, une phrase interpelle: «Un petit peuple souverain se sent en danger: on avait appelé des bras et voici qu’arrivent des hommes.» Ces mots de Max Frisch sont issus de la préface du livre Siamo Italiani d’Alexander J. Seiler paru en 1965, un an après la sortie de son film éponyme témoignant des conditions d’existence des saisonniers et de la xénophobie ambiante. «Cette phrase est le point de bascule sur lequel s’articule toute l’exposition», souligne Sylvie Costa, conservatrice au MHL, avant d’entrer dans la première salle où le regard se porte sur les images vidéo du percement du tunnel du Grand-Saint-Bernard, en 1962, et la jonction des équipes italiennes et suisses, filmées par Claude Goretta. Des images fortes de cette période de croissance, nécessitant une main-d’œuvre nombreuse. Près de 500000 immigrés ont été appelés en Suisse.

Salle de classe miséreuse.
La misère en Calabre en 1948, photo de Tino Petrelli. © Archivio Storico Intresa Sanpaolo/Archivio Publifoto

 

Le temps des pionniers

Cette époque est précédée par une première vague d’immigration italienne, dès les années 1870. Les ouvriers viennent creuser les premiers tunnels à travers les Alpes et le Jura, construire les voies ferrées, le chemin de fer est en plein développement. L’exposition présente ces précurseurs italiens, dont certains ont forgé leur propre entreprise, à l’instar du menuisier Grégoire Borgatta ou d’Alexandre Ferrari qui avait décroché l’unique brevet de béton armé pour la Suisse vers 1890. D’importants travaux sont réalisés à Lausanne, comme la construction d’un grand réservoir par l’entrepreneur Emmanuel Bellorini. «L’arrivée d’eau dans toutes les maisons lausannoises a ouvert la porte à la modernité», explique Sylvie Costa. On découvre aussi un imposant album de photographies du même Bellorini sur le suivi du chantier du pont Chauderon, entre 1904 et 1905.

Au mur, des photographies montrent les quartiers du centre de Lausanne où logeaient des milliers d’Italiens, et l’un des premiers bistrots, le Café Tedeschi, où se tenaient des réunions socialistes. A l’époque, les clichés sur les Italiens s’installent. Des gens présentés comme querelleurs, le couteau facile. S’y ajoute la crainte de leur conscience politique fortement développée. Au tournant du siècle, les maçons italiens avaient leur propre syndicat, la Muraria, organisé en fédérations dans toute la Suisse. «Cette première vague migratoire a vite infiltré toute la société lausannoise, soit par naturalisation, soit par des mariages avec des Suissesses», explique la commissaire de l’exposition.

Avant 1931, date de la première Loi sur les étrangers, la libre circulation était en vigueur entre la Suisse et l’Italie. Une table expose les papiers nécessaires aux premiers immigrés pour s’installer à Lausanne. Ce n’est qu’en 1948 que sera instauré le système des permis A, B et C.

Le boom de l’après-guerre et l’Italianità

Le boom économique de l’après-guerre et le manque de main-d’œuvre inaugurent le début de la seconde vague migratoire. Après les Italiens du Nord de la première vague, ce sont les travailleurs du sud de la Botte qui arrivent, poussés par la misère. Un accord entre la Suisse et le pays est signé en 1948 pour favoriser cette immigration. Des offices d’émigration voient le jour au sud des Alpes. Des images témoignent des moments forts que représentent ces départs pour les familles. Et de l’arrivée des saisonniers à la frontière helvétique, des contrôles médicaux, dénudés, témoignant qu’on attendait des bras et non des hommes et des femmes. Ils ont été actifs dans trois secteurs économiques. Les chantiers, avec la construction de nouveaux bâtiments, de logements, de l’autoroute. L’industrie, avec par exemple l’usine de collants Iril à Renens, où les Italiennes y travaillant font figure de pionnières dans une Suisse très traditionnelle. Et la restauration, avec notamment l’ouverture de la première pizzeria lausannoise en 1957, la pizzeria Da Mario toujours active en haut de la rue de Bourg.

Peu à peu, l’Italianità laisse son empreinte dans la ville. Des objets, des aliments, des pages de journaux illustrant la présence italienne à Lausanne sont exposés. Y est évoquée la place du football, du vélo, de l’alimentation, de la musique et du cinéma, avec des objets insolites, comme l’écharpe rouge de Fellini ou le manuscrit du film Riso amaro. Une Vespa trône aussi au milieu de la salle, symbole de modernité et de liberté. Une liberté vite restreinte par les permis de travail comme en témoigne l’affiche de l’exposition.

Affiche de la campagne contre l’initiative de l’Action nationale.
Affiche de la campagne contre l’initiative de l’Action nationale, 1974. © MHL

 

Vie sociale et xénophobie

L’immigration italienne, c’est aussi une riche vie associative qui marque les deux vagues migratoires. Les premiers immigrés étaient surveillés pour leurs opinions anarchistes ou socialistes. Dans les années 1932-1933, les Casa d’Italia, mises en place par Mussolini s’installent dans le pays. A Lausanne, l’une d’elles s’ouvrira après la guerre aux résistants pour tirer un trait sur le passé fasciste. La Colonia libera de Lausanne voit le jour en 1943 pour combattre le fascisme, puis se transformera en association de défense des droits des immigrés. Il y a aussi le développement des équipes de foot, dont la première, l’Ambrosiana, a été fondée en 1926. Et la présence d’une crèche-pensionnat, où séjourna, enfant, Anne Cuneo, et d’une école italienne, le Liceo Pareto.

L’espace relatant cette implantation sociale, politique et culturelle laisse encore découvrir la virulence des propos anti-étrangers, la création, en 1963, d’un parti «Anti-Italiens». Et les initiatives xénophobes qui pousseront le Conseil fédéral à restreindre les droits des migrants. Des extraits de films ou d’émissions se font l’écho de cette période noire pour les immigrés. On y entend également Luigi, camarade d’Unia, qui crie sa colère contre la montée xénophobe en Lombardie même, dans un extrait du film L’Altra Cosa, de Morena La Barba.

La visite se termine dans une salle ornée des portraits des vingt témoins dont les récits sont réunis dans le livre lié à l’exposition. Un recueil qui invite à la poursuite du voyage, à la découverte de leur parcours et de leurs sentiments. Leurs paroles résonnent sur les murs. «Ils représentent toutes ces personnes de la 1re, 2e et même 3e génération d’Italiens qui ont contribué à faire Lausanne», salue Sylvie Costa.

*Losanna, Svizzera, recueil de témoignages par Emmanuelle Ryser, photographies de Claudine Garcia, Editions Favre, Lausanne, 2020, 125 pages, 20 fr.
Retrouver notre article consacré à ce recueil ici.

Affiche de l'exposition.

 

Autour de «Losanna, Svizzera»

De nombreux événements, projections ou conférences sont organisés dans le sillage de l’exposition du Musée historique. Parmi eux:

- Des conférences au Musée sur les thèmes suivants: Le régime méditerranéen: de la stigmatisation à la reconnaissance internationale (28 septembre à 18h30); Un savant italien engagé: Bruno Galli-Valerio, professeur d’hygiène et parasitologie à Lausanne (5 octobre à 18h30); Pourquoi les Italiens deviennent-ils blonds? (11 novembre à 18h30); Gino Severini, un artiste toscan à Lausanne (1er décembre à 18h).

- La projection du film Siamo Italiani d’Alexander J. Seiler (1964), le 2 novembre à 20h30 à la Cinémathèque, en ouverture d’un cycle sur l’immigration italienne en Suisse (réservations sur cinematheque.ch).

- Une soirée plans fixes consacrée à l’écrivaine et journaliste Mireille Kuttel Baudrocco, le 17 novembre à La Ferme des Tilleuls, à Renens.

- Une rencontre sur le thème «Lingua, madre, madrelingua» avec la participation d’Elena Borio, Anna Lietti, Ada Marra, Lucia Sillig, quatre femmes partageant leurs relations à leur mère, leur langue et l’Italie. La soirée, animée par Morena La Barba, aura lieu le 9 décembre à 19h à la salle du Conseil communal.

- Visites guidées, midi-pauses et chasse aux trésors pour les enfants sont aussi au programme.

Plus d’informations sur: lausanne.ch/mhl

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