«Je perds un ami, mais la Suisse perd une conscience, elle qui en manque tant.» Merci à 24 heures et au Courrier d’avoir repris cette affirmation de Nago Humbert lors de la cérémonie d’adieux à Michel Bühler. Merci d’avoir consacré à cet artiste trois pages illustrées dans l’édition du 9 novembre. Michel méritait bien que l’on mette en exergue ce que les Vaudois et tant d’autres lui doivent de reconnaissance et même d’affection. D’autres publications, comme L’illustré ont, elles aussi, participé à cet hommage.
Mais qui donc s’est posé la question suivante: pourquoi n’entendait-on jamais cet artiste sur les ondes de la télé ou de la radio romande? Il y a deux ans, très surpris, j’ai entendu deux versets d’une chanson de Bühler. Je lui ai immédiatement envoyé l’information. Et il m’a répondu que d’autres avaient également été très surpris. Lors de la sortie de son dernier disque, Rouge, il a eu droit à un petit passage sur nos ondes, une conversation très chaleureuse, puis deux versets d’une des dernières chansons. Ce fut tout.
Est-ce parce qu’il montrait du doigt les rares, mais encore trop nombreux salauds qui animent notre économie? Est-ce parce qu’il collaborait à Gauchebdo ou au Courrier lequel présente l’actualité autrement? Pourtant, il y a, dans son répertoire, tant de chansons pleines de poésie et de tendresse. Il y a tant de descriptions savoureuses des Vaudois, de leur vocabulaire, de leur bonhomie, de leurs mœurs. Si justes et si précises qu’elles n’ont rien à envier à son maître, Jean Villard-Gilles.
Gilles avait été invité à présenter une nouvelle chanson toutes les semaines à la radio romande. Plus tard, quelques minutes de grande écoute lui avaient été proposées chaque semaine. Le contact de l’artiste et de son public était bien établi et nous pouvions nous régaler de ses réflexions et de son humour. Or, on a traité Michel comme les télés et les radios françaises ont traité Jean Ferrat. Ce dernier a fait une chanson qui met ce fait en exergue: «Le fantôme de la télévision». Michel a aussi mis en musique au moins deux fois cette réalité: dans une chanson, il parle des tribulations d’un chanteur romand et affirme: «J’ai l’impression qu’on me prend pour un con.» Il y a aussi celle où il regrette que l’on n’entende plus que des chansons d’origine anglo-saxonne: «Ça m’gonfle.»
Rappelons-nous les fresques historiques que lui ont commandées les notables de Grandson pour marquer divers événements comme la réfection de leur magnifique église, son hommage au major Davel, sa Fête des vignerons de la Côte. Cet amoureux du Pays vaudois ne méritait-il pas d’être diffusé sur nos ondes romandes? Qui donc assume cette décision de l’avoir effacé du paysage audiovisuel? Pour quelle raison? Qui dirige nos manières de penser et de nous émouvoir? Myret Zaki écrit dans son dernier livre que les milliardaires de nos pays occidentaux sont les rédacteurs en chef du monde. Ont-ils vraiment une telle influence sur la programmation de la radio et de la télé romande? J’ai de la peine à y croire.
Pierre Aguet, Vevey