Non, la barque n’est pas pleine, mais l’Italie ne veut plus assumer seule la pression ininterrompue de réfugiés traversant la Méditerranée. Un flot qui, en cette période estivale, tend encore à enfler. Avec des chiffres vertigineux. Rien que le 13 juin, à titre d’exemple, près d’un millier d’Erythréens sauvés de la noyade par les gardes-côtes italiens, ont débarqué à Catane, en Sicile. Quelques jours auparavant, Rome, las des belles paroles de l’Union européenne, a tapé du poing sur la table. Le nouveau ministre de l’Intérieur et patron de la Ligue (extrême droite), Matteo Salvini, a refusé l’accès aux ports italiens à l’Aquarius, un bateau d’une ONG transportant 694 rescapés à son bord et à d’autres navires par la suite encore. Coup d’éclat à l’intention de sa base électorale à qui il avait promis d’empoigner la question, tenant ses engagements. Mais aussi message clair à une Europe impuissante à gérer une crise qu’elle préfère ignorer, laissant dès lors les pays en première ligne se débrouiller. Une manœuvre qui a fait bondir la France, Macron qualifiant de «cynique et d’irresponsable» la décision italienne. Sans pour autant lever le petit doigt pour venir en aide aux naufragés qui auraient pu gagner la Corse. Alors que Malte a aussi refusé son accès aux exilés. Instrumentalisés, ballotés entre les rives de l’indifférence et de l’égoïsme, les migrants ont finalement pu rejoindre Valence, le président du Gouvernement socialiste espagnol leur ayant ouvert ses portes. Alors que l’Hexagone, jouant l’apaisement et soucieux de redorer son blason, a ensuite annoncé être prêt à accueillir des passagers.
Quoi qu’il en soit, cet énième épisode de la tragédie de l’exil témoigne une fois de plus de l’impérative nécessité de mettre en place une politique migratoire commune et coordonnée. Qui ne peut se limiter à des accords bancals passés avec la Lybie ou la Turquie. Avec le seul but d’externaliser le problème en délocalisant ses frontières. Et tout en connaissant les traitements réservés aux exilés interceptés en Lybie, entre emprisonnements, tortures, esclavage et trafic d’êtres humains.
Hors de question de laisser plus longtemps l’Italie sans réel soutien et continuer à donner du grain à moudre aux mouvements populistes jouant la division. Et qui pourrait lui reprocher d’avoir manqué d’humanité: 600000 migrants ont été accueillis sur son sol depuis 2014. Mais Rome exige aujourd’hui des actes. Et n’a pas hésité à prendre les exilés en otages pour créer un électrochoc. Une manière – certes guère louable – de répéter toutefois qu’il y a urgence à réformer les Accords de Dublin. Et de renvoyer les Etats partenaires à un devoir de solidarité à laquelle ils ne sauraient se soustraire. De son côté, la Suisse voisine ne peut davantage continuer à jouer la carte d’une réglementation injuste. Et user et abuser mesquinement des possibilités de renvoi offertes par Dublin.
En ce 20 juin, Journée internationale des réfugiés, on rêve à davantage de partage. A l’ouverture de voies légales et sûres pour les exilés. A une répartition équitable des personnes réclamant protection plutôt que d’assister, étrangers, à des déplacements massifs, désordonnés et particulièrement dangereux. Avant le total naufrage de nos consciences...