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«On n’est pas en train de sauver des vies, on fait du café!»

Manifestation d'Unia devant le siège de Nespresso à Lausanne en mai 2018.
© Thierry Porchet/Archives

Alerté par les travailleurs de Nespresso à Orbe, Avenches et Romont sur le projet de nouveaux horaires, Unia a mené plusieurs actions pour que le personnel soit entendu. En mai 2018 déjà, il protestait avec les salariés devant le siège de Nespresso à Lausanne.

Les travailleurs de Nespresso n’en peuvent plus. Avec Unia, ils exigent le retour à leur ancien horaire, et des négociations pour améliorer les conditions de travail à Orbe, Avenches et Romont

«Avec ce nouvel horaire de 4x8, c’est infernal. Nous n’avons plus que deux week-ends de congé par mois et faisons jusqu’à 82 heures d’affilée, sur neuf jours, avec un seul jour de repos entre deux. Ça fait une moyenne de 10 heures par jour.» Bernard* est à bout, après l’introduction de nouveaux horaires, le 1er janvier 2019, dans les trois sites de production des capsules Nespresso à Orbe, Avenches et Romont. Il était de ceux qui avaient combattu, en mai 2018 déjà, pour que Nespresso ne les instaure pas. Il donne l’exemple d’une de ces semaines épuisantes: après deux jours de repos, les salariés travaillent le samedi et le dimanche 12 heures par jour (de 6h30 à 18h30 environ), puis lundi et mardi durant 8 heures (de 14h à 22h). Ils ont congé le mercredi et reprennent le jeudi et le vendredi de nuit (de 22h à 6h ou 7h), puis cumulent deux autres nuits de 12 heures le samedi et le dimanche (de 18h30 à 6h30). En tout, plus de 82 heures avant d’avoir deux jours de repos et de reprendre le travail trois jours de suite. Des horaires inhumains, validés par le Seco, s’indigne le travailleur. «Les gens sont fatigués, beaucoup sont malades, ou partent. Même des chefs avec de nombreuses années d’ancienneté sont partis. Oui, nous demandons un retour aux 5x8. Avant, nous travaillions deux week-ends et en avions trois de congé», dit-il, ajoutant que 90% du personnel était contre ces nouveaux horaires. «Ils nous ont dit: “Soit tu signes le nouveau contrat, soit tu es licencié.ˮ En plus, nous sommes passés de 41h à 43h hebdomadaires.» Quant à sa vie privée, il paie un lourd tribut: «Si tu veux faire du sport en équipe, tu oublies. J’ai une amie, parfois je ne fais que la croiser. C’est très compliqué pour les personnes qui ont des enfants. Certaines sont au bord du divorce.» Il ajoute que les hommes composent la majorité du personnel, mais, selon les sites, les équipes sont constituées de 5% à 10% de femmes.

Horaires nuisibles

«Depuis l’introduction des 4x8, et les heures supplémentaires, on gère beaucoup moins bien le temps de repos. Au fil des mois qui passent, la fatigue s’installe. On voit beaucoup moins nos familles. Avant, ce n’était déjà pas la joie, mais là, je ne croise plus mon conjoint», raconte Louise*, ouvrière de production. «On rentre, on dort. Si on veut rester avec sa famille, on ne dort pas et ça se répercute sur la santé. Cet hiver, j’enchaîne les rhumes et autres pépins. Je suis rentrée du travail ce matin à 6h, je me suis levée à midi pour faire mon ménage, mais je me suis rendormie», poursuit Louise, réveillée par notre téléphone en fin d’après-midi. «Durant ces semaines de neuf jours, c’est impossible de voir ses enfants. Nous sommes obligés de prendre sur nos vacances pour passer du temps avec eux, ce n’est pas normal.» Louise ne supporte pas le double discours de Nespresso qui dit prendre soin de la santé de son personnel et vante le bien-être. «C’est un comble quand vous savez que ces 4x8 ce n’est que pour accumuler toujours plus d’argent. Nespresso pourrait très bien survivre en mettant en place des horaires plus humains. On ne conduit pas consciemment des personnes au cancer ou à la mort pour donner du plaisir aux gens avec des capsules de café!»

Ras-le-bol

De son côté, Paul*, ouvrier de production, abonde: «Avant qu’ils nous imposent ces 4x8, nous voulions demander une baisse du temps de travail à 40h par semaine, pour pallier la pénibilité des horaires! Là, ils ont fait le contraire, ils ont empiré la situation. Cet horaire est une catastrophe. Moralement, c’est très dur, on ne voit pas le bout de notre travail. En fin d’année, nous avons eu dix jours de repos. Dès que j’ai remis un pied dans l’usine, une énorme fatigue est revenue. On fait des heures supplémentaires pour les reprendre ensuite pour nous reposer, c’est ridicule!» Il indique encore que, sous la pression d’Unia, la direction vient d’accorder le paiement des heures supplémentaires avec les primes d’équipe. Mais pour lui, c’est seulement pour se donner bonne conscience. «Les 4x8, on n’en veut pas! En plus, la direction dit qu’elle a fait un sondage et que tout va bien. On a été abasourdis! Quant aux représentants du personnel, ils n’ont rien à dire, c’est la direction qui leur dicte ce qu’il faut faire. Je comprends que les collègues aient peur. C’est pour cela qu’il faut que la délégation syndicale soit reconnue. C’est important d’avoir des gens extérieurs, et c’est un droit!»

Paul compare la pénibilité du travail à un sprint, récompensé à l’arrivée par la retraite. «Sauf que là, tu arrives à la moitié du parcours et tu meurs... On n’est pas en train de sauver des vies, on est en train de faire du café! Les horaires irréguliers ont été faits pour les médecins ou d’autres professions qui le nécessitent. Là, ils libéralisent tout, parce qu’arrêter les machines, ça coûte cher. On est en train de régresser, je ne veux pas laisser ça à mes enfants. Ceux qui nous dirigent doivent savoir que les travailleurs en ont ras-le-bol.»

*Prénoms d’emprunt.

Sondage attestant de la souffrance au travail

Alerté par les travailleurs de Nespresso à Orbe, Avenches et Romont sur le projet de nouveaux horaires, Unia a mené plusieurs actions pour que le personnel soit entendu. En mai 2018 déjà, il protestait avec les salariés devant le siège de Nespresso à Lausanne. Malgré cette mobilisation, les nouveaux horaires sont entrés en vigueur le 1er janvier 2019. En novembre passé, le syndicat a organisé un sondage. Quelque 240 travailleurs des trois sites ont répondu, soit entre 40% et 50% du personnel. Les 97% des employés ayant participé travaillent en équipe, 98% avec un contrat fixe. Le sondage confirme les plaintes des salariés: 74,1% trouvent les conditions de travail chez Nespresso très stressantes, 88% qu’elles se sont dégradées en 2019 et 60% disent chercher un nouvel emploi. Le passage en horaire 4x8 arrive en tête des causes de la dégradation, suivi de l’absentéisme et du départ des collègues. Les 94,5% des sondés se sentent très fatigués.

«Notre sondage dit clairement qu’il y a de la souffrance au travail», souligne Nicole Vassalli, secrétaire syndicale à Unia Vaud. Elle rappelle que, depuis des années, Nespresso refuse d’instaurer un partenariat avec le syndicat. «Le directeur des trois sites nous a bien reçus à la mi-janvier, mais n’a pas accepté que deux travailleurs, délégués syndicaux, participent à la séance. Ils ont dû rester à la cafétéria! Nous lui avons transmis trois revendications: la redéfinition d’une organisation du travail moins nocive pour la santé, avec l’ensemble des employés, les représentants du personnel et la délégation syndicale, soit la fin des 4x8; l’analyse en profondeur du malaise actuel en mandatant l’Institut de santé au travail (IST); et enfin l’amélioration de la participation et de la prise en considération des travailleurs avec le respect des libertés syndicales et la reconnaissance des délégués syndicaux.»

La direction n’ayant pas donné de réponse sur ces trois points au 31 janvier, délai posé par Unia, le syndicat a décidé de dénoncer la situation devant les médias. «Le directeur a proposé une séance en mai, sans dire un mot sur ces trois revendications. Le moment de dire Stop! est arrivé!» Nous avons une responsabilité en tant que syndicat, nous ne pouvons pas être complices de cette situation. Si, un jour, il y a un mort, on ne veut pas l’avoir sur la conscience», lance la secrétaire syndicale, espérant que Nespresso réagisse aux exigences des salariés et d’Unia, soutenues également par l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA). Si ce n’est pas le cas, d’autres actions seront envisagées.

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