A Genève, la gauche et les syndicats s’opposent à l’ouverture des commerces trois dimanches par année et à la prolongation d’une heure le samedi. Le référendum est lancé
A Genève, la gauche et les syndicats ont lancé la semaine dernière le référendum contre la modification de la Loi cantonale sur les heures d’ouverture des magasins (Lhom). Pour mémoire, ce changement de la loi, imposé par la droite patronale et le Conseil d’Etat, prévoit des ouvertures des commerces trois dimanches par an, en plus du 31 décembre, ainsi que la prolongation des horaires le samedi de 18h à 19h.
«Les vendeurs et les vendeuses appellent au secours à la population», a dit la semaine dernière Pablo Guscetti, secrétaire syndical d’Unia Genève, lors d’une conférence de presse présentant le lancement du référendum. «C’est bien simple, nous n’aurons plus de vie de famille», explique Maria (prénom d’emprunt), membre du comité vente d’Unia, pour résumer le sentiment dominant chez ses collègues. «Aujourd’hui, en terminant à 18h le samedi, je ne suis chez moi qu’à 18h45. En sortant à 19h, je n’arriverai à la maison qu’à 19h45. Pour mes collègues habitant plus loin, en France, ça serait bien plus tard. Impossible dès lors de prévoir un dîner en famille avec des amis.» Inscrite dans la nouvelle loi, la suppression de la nocturne du jeudi à 21h est présentée comme une compensation à cette extension du samedi. «Le jeudi soir ne marchait de toute façon pas. Le samedi à 19h, je dis non, il s’agit du jour le plus difficile de la semaine.»
Quant au travail du dimanche, il est basé sur le volontariat, mais Maria met en garde: «Ce principe n’est pas viable dans les petites structures. Refuser de travailler le dimanche, c’est prendre le risque d’être placé sur une liste noire.» Avec pour conséquence, par exemple, que des demandes de congés ne soient pas acceptées, alors que, comme le fait remarquer la vendeuse active dans la branche depuis plus de trente ans, «pour prendre un jour, il faut déposer sa demande six semaines à l’avance». Le projet de loi combattu ne prévoit d’ailleurs pas de contrôles particuliers sur ce point. «L’Office cantonal de l'inspection et des relations du travail n’arrive déjà pas à assumer les contrôles nécessaires», rapporte Pablo Guscetti. «Nous n’aurons plus de week-end», souligne Maria.
Dégradation des conditions de travail
Cette modification des horaires intervient dans le contexte d’une dégradation continue des conditions de travail pour les 14000 employés que dénombre le commerce de détail à Genève. «Les effectifs ne cessent de diminuer, tandis que les tâches se multiplient et la charge de travail augmente. Migros comptait 3700 collaborateurs il y a dix ans, ils ne sont plus que 3000 aujourd’hui», indique le secrétaire syndical. «Certaines vendeuses n’ont pas le temps d’aller aux toilettes, elles doivent demander à des collègues de les remplacer pour pouvoir s’y rendre. D’autres vendeurs, eux, sont souvent empêchés de prendre leur repas pour servir les clients», témoigne Maria, pour illustrer ces conditions de travail difficiles.
Et le Covid-19 n’a évidemment pas arrangé les choses. «Les vendeuses ont bossé au front dans une situation difficile. Et celles qui n’ont pas pu travailler parce que leur magasin était fermé ont perdu 20% de leur salaire», rappelle Pablo Cruchon, député d’Ensemble à Gauche. Rappelons-nous seulement qu’au début de la pandémie, Migros Genève interdisait à ses collaborateurs de porter un masque… Pour Pablo Cruchon, «cette loi prend ses racines dans la crise du coronavirus, elle vise à relancer l’économie sur le dos des salariés et à leur faire payer la crise. C’est pourquoi il est important de la combattre.»
Portée par le conseiller d’Etat MCG Mauro Poggia, la nouvelle loi vise officiellement à faire pièce à la concurrence de la France voisine. «Les études réalisées montrent que les horaires ne jouent aucun rôle, ce qui fait la différence, c’est le prix», conteste le député socialiste Romain de Sainte Marie. Dans notre édition du 17 mars, nous avons montré que le Conseil d’Etat ne s’appuyait sur aucune analyse sérieuse ni enquête indépendante.
«Ce n’est pas la question des horaires qui va régler les problèmes des commerces. Les vraies solutions consistent en des aides ciblées ou en une amélioration du pouvoir d’achat de la population, juge Davide De Filippo, cosecrétaire général du Sit et président de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS). La droite patronale veut déréguler le plus possible. Ce qu’il faut faire, c’est l’inverse, c’est vers la réduction du temps de travail qu’il faut aller. Si on veut donner le temps aux gens d’aller faire leurs courses, il faut réduire le temps de travail de tout le monde comme le propose d’ailleurs l’initiative que la CGAS vient de lancer.»