Plus de 900 maçons du canton de Vaud ont fait le point sur les négociations en vue d’améliorer leurs conditions de travail. Face aux attaques patronales, ils ont voté en faveur de deux jours de grève, comme leurs homologues à Genève et à Neuchâtel
Une vague de cartons rouges s’élève dans la salle du théâtre de Beaulieu à Lausanne. Ce vendredi 7 octobre, plus de 900 maçons venus de tout le canton votent comme un seul homme deux jours de grève pour stopper l’attaque des entrepreneurs contre leurs conditions de travail et exiger une hausse des salaires. Ils poseront les outils les 7 et 8 novembre, en même temps que Genève et Neuchâtel. Unia les avait conviés à cette assemblée pour faire le point sur les négociations de renouvellement de leur Convention nationale (CN) et décider des actions à mener si leurs revendications n’étaient pas entendues.
A la tribune, Pietro Carobbio, responsable de la construction à Unia Vaud, détaille les enjeux de cette année 2022: «S’il n’y a pas d’accord le 31 décembre, tous nos droits, tous nos acquis contenus dans la CN sont caducs. Salaires minimums, 13e obligatoire, assurances accident, maladie, tout est dans cette brochure», dit-il en brandissant la CN. La question des salaires sera aussi déterminante, appuie-t-il, rappelant la forte inflation. «La construction se porte bien, avec des chiffres d’affaires et des réserves de travail records. Les patrons ne veulent rien donner, ils prétendent que c’est la cata. Pourtant, ils ont augmenté les prix à cause du renchérissement, pourquoi n’en feraient-ils pas de même avec les salaires? Et que comptent-ils faire pour donner envie aux jeunes de venir sur les chantiers?»
Semaines de 58 heures…
Après cinq rondes de négociations, les exigences de la Société suisse des entrepreneurs (SSE) balaient toutes les revendications que les travailleurs avaient exprimées en février pour améliorer la CN, soit des règles claires en cas d’intempéries, des journées de travail passant de 40,5 heures à 40 heures, une meilleure protection des plus âgés contre le licenciement, le paiement des pauses et du temps de déplacement, ainsi qu’une semaine de vacances supplémentaire. De son côté, la SSE a notamment exigé plus de flexibilité et la réduction du nombre d’articles de la CN d’environ 200 à 30 au maximum. «La SSE veut une convention “light”, ça veut dire qu’on va perdre toute une série d’acquis», lance Pietro Carobbio, annonçant les prochaines négociations prévues le 21 octobre et le 14 novembre. «S’il n’y a pas d’accord…» La salle l’interrompt et scande: «Grève! Grève!»
Il poursuit en résumant la position actuelle de la SSE: pas d’entrée en matière sur les salaires, diminution de la paie des travailleurs âgés si le patron considère qu’ils sont moins productifs, retour en arrière sur les délais de congé, abolition du calendrier de travail. «Ils veulent pouvoir planifier de mois en mois entre 0 et 48 heures par semaine, plus 10 heures de déplacement. Ça rend possibles les semaines de 58 heures!»
Il ajoute que, dans ce contexte, Unia mettra la priorité sur le pouvoir d’achat, sur la non-détérioration du temps de travail et de la CN: «Une version “light” est exclue!»
«La grève, tout de suite»
Lorsque le débat démarre dans la salle, la colère des maçons fuse: «Ça veut dire quoi plus de flexibilité? On est trop bête pour avoir une famille? Quand tu fais 10 heures par jour, tu rentres dans quel état à la maison? On le fait parfois, mais il ne faut pas que ça devienne une habitude! Comment peuvent-ils proposer ça? Je suis choqué!» lance l’un d’eux. «Aujourd’hui, on arrive à finir un chantier en 16 mois contre 24 auparavant. Et je dois me contenter du salaire qu’on me donne?» «Nous ne sommes pas des marionnettes, il faut faire la grève tout de suite, et pas se cacher en restant au bord du lac, il faut tout bloquer.» «On ne peut pas attendre encore un mois! C’est notre corps qui en pâtit sur les chantiers. Les patrons menacent de nous virer en disant qu’il y en a quinze qui attendent derrière la porte. C’est fini ça. De la main-d’œuvre, il n’y en a pas. Il faut taper fort!» Ponctuées par des applaudissements, des sifflets ou des cris enthousiastes, les interventions se succèdent. Certains sont prêts à poser les outils dès le lundi suivant.
Le responsable d’Unia arrive à contenir l’empressement: «Nous sommes mille aujourd’hui, nous avons trois semaines devant nous pour être beaucoup plus nombreux. Le canton compte plus de 8000 travailleurs de la construction, nous devons sortir d’ici et les convaincre de rejoindre le mouvement!» Il met au vote les mesures de lutte aux dates définies. La détermination est claire: un seul jour de grève le 7 novembre? Pas une main se lève. Deux jours de grève les 7 et 8 novembre? Les bulletins de vote rouges sont brandis d’un seul mouvement, accompagnés d’acclamations.
«Vous êtes une inspiration pour les autres»
«Vous avez lancé une vague de résistance. Cette fois encore, nous devons rappeler qui construit vraiment la Suisse, c’est vous, pas la SSE. Avec votre force, vous êtes une inspiration pour les autres maçons, pour les autres travailleurs du pays. Ensemble, nous déplaçons des montagnes, ensemble nous sommes forts!» lance Chris Kelley, coresponsable national de la construction à Unia, après le vote. Présidente du syndicat, Vania Alleva salue aussi la détermination des présents: «Vous savez ce qu’est la dignité, votre pouvoir d’achat, votre famille. Ce que les entrepreneurs proposent est indigne de tout ce que vous avez fait, de votre travail durant le Covid, sans être augmentés. Cette flexibilité va vous rendre malades. Après ce vote, les pressions sur vous vont augmenter, mais vous êtes unis. Gardez cette unité, élargissez-la pour gagner!» A son tour, Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse, soutient le combat des maçons: «Les injustices que vous ressentez sont aussi présentes chez d’autres travailleurs. Les patrons profitent de la crise pour exiger qu’on travaille le dimanche, la nuit. Ils veulent vous faire bosser toujours plus. C’est impardonnable! Lorsque vous commencerez votre grève, il y aura beaucoup de monde derrière vous, les vendeuses, les infirmières. Beaucoup de gens comptent sur vous, peut-être que d’autres salariés suivront votre mouvement.»
Neuchâtel: «La mobilisation démarre bien»
Les maçons neuchâtelois poseront aussi leur truelle les 7 et 8 novembre. Réunis en assemblée générale jeudi dernier à La Chaux-de-Fonds, près de 150 salariés de la construction ont en effet voté un arrêt de travail ces deux jours. Décision prise à l’unanimité, moins deux voix ayant opté pour un seul jour de grève. Un sondage réalisé précédemment auprès de 442 travailleurs avait montré que 97% d’entre eux sont disposés à entamer des mesures de lutte si les négociations ne débouchent pas sur un accord acceptable. «Les collègues sont en colère et déterminés face aux attaques de la Société des entrepreneurs, explique Alexandre Martins, secrétaire syndical d’Unia Neuchâtel et responsable du secteur construction. La mobilisation démarre bien et nous avons encore un mois pour l’élargir.» JB
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