Pas de frein à la précarité
Guère d’amélioration pour les personnes œuvrant dans le domaine de l’économie numérique. A la suite de son rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes, paru à la fin du mois dernier, le Conseil fédéral s’est positionné en la matière. A la clef, quelques éléments positifs comme le refus de créer un statut particulier pour les actifs du domaine, entre indépendants et salariés, ou encore l’absence de liberté de choix entre l’un ou l’autre. Ces demandes émanaient de parlementaires libéraux défendant une plus grande flexibilisation. Des requêtes synonymes d’un amoindrissement de la protection des salariés sur le front de la couverture des assurances. Avec un transfert des risques et des coûts sur leur dos. Reste que le gouvernement n’a pris aucune mesure pour freiner la précarité caractéristique du domaine. Pas de disposition pour contrer les velléités des entreprises concernées de contourner les lois. Pour les empêcher de surfer sur une certaine confusion renforcée par l’engagement fréquent de sous-traitants et d’échapper à leurs obligations. Des sociétés qui, quand elles sont épinglées par la justice, jouent constamment la montre contre la mise en œuvre de décisions les contraignant à considérer leur personnel comme des employés via des recours à répétition. Le Conseil fédéral aurait pu agir de manière proactive afin de limiter la pratique de travail au noir numérisé. Introduire le principe d’une présomption légale ancrant le fait que le revenu du travail via une plateforme est reconnu comme provenant d’une activité lucrative dépendante. Mais non. Quand, considérés à tort comme des indépendants, les travailleurs de plateformes n’ont d’autres possibilités que d’entreprendre individuellement de longues et coûteuses procédures juridiques. Débutent alors d’interminables parcours de combattants vis-à-vis d’employeurs qui tentent de noyer le poisson ou se présentent volontiers comme de simples intermédiaires. Assurément, la volonté politique n’est pas au rendez-vous. Le lobby des sociétés numériques pousse sans cesse vers davantage de libéralisation. L’application systématique des lois existantes fait défaut, les autorités cantonales ayant alors aussi leur part de responsabilité en la matière. Entre absence de contrôles et non-prise en compte de la problématique.
Dans ce contexte, des multinationales américaines comme Uber ont souvent été dénoncées par Unia. Ce modèle d’affaire trouve toutefois aussi ses moutons noirs helvétiques. A l’image de Smood, société de plateforme spécialisée dans la livraison de repas. La start-up traite ses collaborateurs comme des salariés mais a développé une pratique hybride qui a poussé aujourd’hui des employés à la grève (voir ici). Car si elle rémunère son personnel à l’heure et pour le moins chichement, elle ne respecte toujours pas la loi à la lettre pour autant. Pas de justes remboursements des coûts liés à l’outil de travail. Comme ceux relatifs à l’usage de véhicules privés pour nombre de livreurs, défrayés 2 francs l’heure au lieu des 70 centimes par kilomètre. Et ce alors qu’ils peuvent parcourir jusqu’à 100 bornes par jour. Pas d’indemnités pour le téléphone portable ou encore le lavage des habits de fonction obligatoires. Pas de paiement correct des heures supplémentaires et du travail du dimanche. Sans oublier les règles en matière de planning que la direction vient de changer. Avec, pour résultat, la mise en compétition entre les travailleurs, et les angoisses de nombre d’entre eux qui, en l’absence d’heures en suffisance, se retrouveront dans l’incapacité de boucler les fins de mois. Autant dire que la posture du Conseil fédéral n’améliore en rien les conditions de travail des employés de plateformes toujours à la merci d’un système qui les soumet à une protection pour le moins lacunaire...