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«Poser un cadre pour réguler l’activité des plateformes»

Portrait de Christian Dandrès.
© Thierry Porchet

Avocat et conseiller national socialiste de Genève, Christian Dandrès a porté à Berne la problématique des plateformes numériques après l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 30 mai. Il liste des mesures à prendre afin de stabiliser le statut des travailleurs des plateformes, et demande notamment que ces dernières fassent œuvre de transparence sur le travail effectué par les chauffeurs et les livreurs.

Christian Dandrès a interpellé le Conseil fédéral, puis déposé une initiative parlementaire à Berne afin de protéger les chauffeurs et les livreurs des plateformes contre les abus qu’ils subissent

Le 26 septembre, Christian Dandrès, conseiller national socialiste de Genève, déposait au Conseil national une initiative parlementaire sur les plateformes numériques en vue de «stabiliser le travail et lutter contre les abus». En juin, il interpellait déjà le Conseil fédéral sur la problématique, alerté par la situation des chauffeurs d’Uber dont le statut de salariés venait d’être reconnu par le Tribunal fédéral. Christian Dandrès rappelait notamment que pendant dix ans, l’entreprise a pu exploiter sans contrainte des milliers de travailleurs, les privant de couverture sociale et de la protection minimale prévue dans le droit du travail. Citant des chiffres d’Unia de 2019, et tenant compte également du non-remboursement des frais professionnels, l’élu expliquait qu’Uber spolie ses chauffeurs d’un montant oscillant entre 3500 et 5500 francs par mois, soit une somme globale annuelle de 60 à 100 millions de francs, à laquelle s’ajoute une perte de 20 millions de cotisations aux assurances sociales.

Retour sur ces démarches parlementaires avec Christian Dandrès.


En juin, peu après l’arrêt du Tribunal fédéral (TF) sur le statut des chauffeurs d’Uber, vous aviez déposé deux interpellations sur la problématique des plateformes numériques. Que demandiez-vous?

Le modèle d'affaire des plateformes repose sur l'engagement de plus de personnes que n'en exige le travail, tout en ne rémunérant que la prestation que la plateforme peut facturer à ses clients. Comme le travail est fourni et contrôlé de manière dématérialisée, via une application sur smartphone, ces entreprises se présentent comme de simples intermédiaires entre clients et chauffeurs ou livreurs. Elles prétendent que ces derniers sont des indépendants et qu’elles n’ont aucune responsabilité à leurs égards.

L’arrêt du TF est une avancée fondamentale, mais il ne suffit pas à garantir le respect des droits de ces travailleurs à être rémunérés pour tout le temps de travail, indemnisés pour leurs frais.

Des mesures sont indispensables à deux niveaux. Il faut empêcher que les plateformes remettent en cause leur qualité d’employeur en modifiant un paramètre de l’application. Elles pourraient sinon poursuivre indéfiniment leur guérilla judiciaire. Il faut aussi qu’elles paient leurs salariés.

J’ai interpellé le Conseil fédéral à ce propos. Sa réponse est la position du patronat suisse. Il refuse de faire quoi que ce soit, dans le but de maintenir un cadre qui «offre une grande souplesse et présente une bonne adaptabilité à de nouvelles formes de travail». La «souplesse», ce sont les failles d’un système qui se heurte à l’opacité des plateformes; les «nouvelles formes de travail», des pratiques offshore de travail au noir et de surexploitation.

Cette réponse laisse à chaque travailleur le poids de faire valoir ses droits et à chaque Canton, via les commissions tripartites, de contrôler le marché du travail. Celles-ci ont-elles les moyens de faire de tels contrôles dans l’économie de plateforme?

Pour mener une procédure judiciaire, un travailleur ou une travailleuse d’une plateforme doit franchir trois obstacles: démontrer l’existence d’un contrat de travail, définir le temps de travail et prouver le nombre d’heures effectuées.

Lorsque vous travaillez dans les locaux d’une entreprise avec des chefs, les deux premiers obstacles ne posent pas de problème. Lorsque votre chef est une application smartphone, c’est compliqué. Il aura fallu six ans depuis l’arrivée d’Uber en Suisse pour qu’un office du travail rende une décision contre Uber qui a ensuite mené une bataille judiciaire de trois ans.

Trancher la définition du temps de travail et le calculer individuellement est une tâche immense. Les salariés peuvent avoir fait des milliers de livraisons ou de courses et des centaines de milliers de kilomètres. Ils n’ont pas nécessairement conservé toutes les preuves. Les plateformes avancent aussi qu’entre deux livraisons ou courses, les salariés s’adonnent à leurs loisirs ou travaillent pour la concurrence. Elles cherchent ainsi à ne pas payer ces heures. Ces problèmes valent aussi pour les commissions tripartites.

En mentionnant celles-ci, le Conseil fédéral cible bien le problème. C’est de dumping dont il s’agit et l’affaire a à voir avec la libre circulation des personnes. Ces plateformes jouent à plein sur la précarité en Suisse et dans les pays frontaliers. En France, le revenu d’un chauffeur Uber est proche du RSA (598 euros/mois). La rémunération effective est tout de même plus élevée en Suisse. Les plateformes peuvent donc mettre en échec les mobilisations de leurs salariés en puisant dans cette réserve de travailleurs qui n’ont pas le choix d’accepter des conditions au rabais.

Il faut compléter les mesures antidumping. C’est ce que je propose de faire avec une initiative déposée au Conseil national.

Que vise cette initiative?

Cette initiative s'inspire des réflexions menées au niveau européen. L'Union européenne veut poser un cadre pour réguler l'activité des plateformes. Il s’agit tout d’abord d’assurer la prévisibilité et la stabilité des rapports juridiques en posant la présomption que les travailleurs des plateformes sont des salariés, charge à celles-ci de démontrer le contraire. Le poids d’une procédure judiciaire pèsera donc sur les épaules de l’employeur. Je propose ensuite d’imposer aux plateformes d’agir de manière transparente et de permettre aux salariés de comprendre comment le travail leur est attribué, selon quels critères, et d’obtenir des données complètes et facilement utilisables sur le temps de travail, les kilomètres parcourus. Le but est d’assurer le paiement des heures à disposition de l’employeur et le remboursement des frais. Peu de choses en somme, mais une avancée fondamentale pour ces travailleurs et ces travailleuses qui sont aujourd’hui privés de ce minimum.

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