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Réguler Rösti

Il y a deux catastrophes ambulantes au sein du Conseil fédéral. L’autre s’appelle Albert Rösti, pareillement indigne et surtout objet captif illimité de ses exiguïtés réflexives, de sa provenance professionnelle au sein de l’industrie pétrolière et de son appartenance à l’extrême droite.

De quoi le situer parmi les coupables à percevoir, en filigrane, sous le titre choisi par notre ami, le philosophe et professeur honoraire de l’Université de Lausanne Dominique Bourg, pour désigner son plus récent ouvrage, paru le mois dernier aux Presses universitaires de France, Dévastation. La question du mal aujourd’hui. Le thème de ces pages? La fureur de détruire animant notre espèce depuis son invention de l’agriculture, au Néolithique, et les essors de sa domination sur le Vivant non humain.

De quoi griller Rösti, dont le déni de la catastrophe et de ses causes atteste la perversité de la bêtise. Cervelle et neurones baissés vers le sol mythifié de la patrie pour ne pas s’alarmer d’une évolution climatique ravageuse à l’échelle planétaire, par exemple, manifestée par des canicules et des sécheresses toujours plus sévères et plus fréquentes. Ou d’une destruction illégale de la forêt amazonienne écocide et quasi génocidaire aux dépens de ses populations indigènes, en hausse de 19% pendant les douze mois passés par rapport à la même période précédente. Ou du réchauffement des eaux lémaniques, quatre à cinq fois plus rapide que celui frappant les océans, de quoi bloquer leur brassage saisonnier et menacer d’extinction sa faune aquatique d’ici la fin de ce siècle.

Or nul de ces signaux-là n’alertera jamais Rösti, représentant parfait, mais en version caquelon, du trumpisme à l’américaine. Voici par son truchement le juteux éventail des torsions rhétoriques comme des faussetés argumentaires, ou des délais attentatoires à l’expression des évidences et des positions scientifiques. D’autant qu’en ses manœuvres, notre magistrat non magistral y va plus méchamment que c’est l’usage en nos contrées helvétiques, infiniment lissées par les sirops du consensus.

C’est sous son égide, par exemple, que fut longuement retenue la publication d’un rapport contredisant tout son plaidoyer pour les nouvelles constructions autoroutières débattues en scrutin fédéral le 24 novembre prochain, à propos notamment de leur coût financier et de leur impact environnemental. Ce qui ne l’empêcha pas de prononcer lui-même, l’autre soir à la télévision, un torrent d’inepties sur l’élargissement des voies de circulation qui réduirait durablement les embouteillages et par conséquent les émissions de CO2 ­– pauvre argumentaire néolibéral que démontent pourtant toutes les études menées sur ce thème.

C’est sous son égide, encore, que fut trafiquée l’interprétation du traité international sur la protection de la faune signé le 19 septembre 1979 à Berne, dans le cadre du Conseil de l’Europe. La nouvelle stratégie des tirs préventifs qu’il parraine aux dépens du loup ayant été justifiée sur la base de «contrôles inexacts des dommages causés», comme vient de le lui reprocher le bureau de surveillance ad hoc, la proportion des meutes à détruire relevant de leur côté de l’«arbitraire», et sa décision souffrant d’être «politiquement motivée». Joli cocktail.

Et c’est sous son égide, enfin, que les Aînées du climat, intervenues devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme pour l’informer que notre pays ne lutte pas suffisamment contre le réchauffement climatique, sont perçues comme des traîtresses à l’Etat. Tel est le paysage que notre opérateur confédéral, en bon chemin vers le statut d’ennemi public, organise au mépris bétonné de l’intérêt général. Une quinzaine d’agriculteurs suisses demandent-ils en mars que «l’autorité cesse de violer» tout un bouquet de lois fédérales mises en œuvre entre 1983 et 2022, et l’Accord de Paris ratifié par le Parlement en 2017? Foutaises. Onze institutions de santé leur emboîtent-elles la démarche il y a trois semaines? Refoutaises, au point de faire écrire au journal Le Temps du 14 octobre dernier que le Département toxique «persiste noir sur blanc à ignorer le jugement des Aînées pour le climat».

Ah, le titre de cette chronique, pour finir, «Réguler Rösti». Je n’y puis rien si le sens de ce verbe, selon les dictionnaires, se limite au sens d’«assurer le fonctionnement correct», le «rythme régulier d’un mécanisme» ou le «déroulement harmonieux d’un processus». Et rien, non plus, si quelques arriérés du Néolithique au sein de notre espèce, plus que jamais imprégnés de leur suffisance présuicidaire à l’endroit du Vivant non humain, ont fait dériver ce vocable euphémisant dans leur lexique de massacreurs.