L’Atelier Art-Broc à Yverdon œuvre à la valorisation de personnes fragilisées par des difficultés psychologiques, relationnelles ou émotionnelles. Activités diverses et création de liens au centre de la démarche. Reportage
Ambiance laborieuse mais néanmoins décontractée dans la petite menuiserie de l’Atelier Art-Broc à Yverdon. Une douzaine de personnes, hommes et femmes confondus, rabotent, poncent, mesurent... attelés à la fabrication et à la restauration de meubles. D’âges et de milieux différents, les travailleurs, fréquentant les lieux à la mi-journée, partagent un point commun. Tous ont vu leur formation ou leur parcours professionnel entravé par des difficultés psychologiques, émotionnelles ou relationnelles. Tous ont besoin de restructurer leur quotidien, animés, pour certains, par l’espoir d’accéder ou de réintégrer à terme le marché de l’emploi. Responsable du lieu, Sylvain Rohrer, aidé de Marc Berney, passe des uns aux autres, avec, pour chacun, un mot gentil, un encouragement, des conseils. Tutoiement de rigueur mais pas de familiarité excessive ou de paternalisme. Les deux maîtres socioprofessionnels (MSP) valorisent l’autonomie et la responsabilisation de leurs protégés. «Ici, ils retrouvent un rythme de vie, des horaires, des contacts. Nous poursuivons deux objectifs: les aider à se réinsérer socialement ou professionnellement et les accompagner vers un mieux-être», déclare Sylvain Rohrer. «La création de liens est capitale. L’Atelier a aussi pour but de sortir certains participants de la solitude, renchérit Marc Berney, insistant sur la nécessité de respecter les sensibilités de chacun. Nous devons prendre garde à ne pas précipiter les choses au risque de casser le fil. L’individu se situe au centre de la démarche.»
Occupation ou réinsertion
Ouvert en 2010, l’Atelier Art-Broc a été créé par la Fondation Simonin qui gère également le Foyer de la Thièle destiné à des pensionnaires en situation d’isolement social ou en difficulté d’ordre existentiel. «Les bénéficiaires de ce lieu proviennent pour un tiers du Foyer, le reste se partageant entre des personnes vivant dans leur propre appartement ou accueillies dans des établissements médicalisés», ajoute Pedro Morales, directeur de la Fondation. «Les critères d’admission? Il faut être majeur, ne pas porter atteinte à soi ou à autrui et être sobre. Certains viennent ici dans une logique d’occupation. Pour d’autres, Art-Broc sert de marchepied à la réinsertion. Mais dans le monde professionnel actuel, ce n’est pas si simple», précise encore le responsable. Accueillant une cinquantaine de participants tributaires de l’aide sociale ou touchant une rente AI, la structure, financée par l’Etat et des dons institutionnels, comprend différents espaces faisant partie de l’ancien site industriel Leclanché. A l’atelier «Vélo Débrouille», on s’occupe de réparer, d’entretenir et de vendre des vélos et des trottinettes. «Un service qui fonctionne plutôt bien mais qui nécessite des connaissances et un savoir-faire spécifiques», souligne Sylvain Rohrer chiffrant à quatre le nombre de bricoleurs employés à cette tâche. Dans le local adjacent, des travailleurs se familiarisent avec la technique de sertissage de vitrail utilisée dans la réalisation d’objets décoratifs.
Parcours chahuté
Sébastien présente avec une certaine fierté la miniserre qu’il a réalisée. «J’aime l’aspect créatif de ce travail», déclare le jeune homme expliquant les différentes étapes qui ont été nécessaires à la fabrication de l’objet. Avant de lever un pan de voile sur sa trajectoire. «J’ai fait un burn-out doublé d’une dépression. Je souffre aussi de maux de dos», confie le sensible jeune homme qui travaillait comme technicien responsable de la pose de cuisines. Pression de responsables et mésentente avec des collègues auront eu raison de sa santé. «Je gérais les chantiers. J’ai craqué.» Aujourd’hui, Sébastien rêve de décrocher un job auprès d’un grand distributeur de la vente. Et, à terme, si les finances le permettent, de créer un terrarium. «Mais mon parcours professionnel est chahuté. J’ai un trou de quatre ans dans le CV», continue d’une voix blanche le bricoleur. Dans le même local, une participante découpe des chablons qui serviront à la création de mobiles colorés complétant une gamme de lampes, abat-jours, photophores... Sur le plan de travail, fabriquées par un ferblantier couvreur, d’originales et ingénieuses fontaines miniatures en cuivre et bois témoignent des compétences de leur auteur. «Plusieurs bénéficiaires d’Art-Broc possèdent des CFC ou des maturités. Mais ils ont été confrontés à des cassures dans leur vie, des maladies. Notre mission vise aussi à “déstigmatiserˮ les pathologies et les troubles divers. Si nous tentons de nous rapprocher le plus possible d’une entreprise lambda, nous n’avons pas d’objectif de rendement.»
Un job porteur de sens
La visite se poursuit, passant encore par une pièce remplie de meubles en attente de réparation et d’objets divers. Tous les articles seront vendus dans des brocantes tenues quatre à cinq fois par année par les bénéficiaires ou sur Internet. Art-Broc intègre en outre dans ses prestations une activité jardinage et un service de transport léger, de déchetterie et de petits travaux chez des privés. Particuliers et institutions forment sa clientèle. Les gains servent à acheter la matière première. Ils permettent aussi de rémunérer symboliquement les participants touchant 2 francs l’heure. Si plusieurs d’entre eux souligneront la gentillesse des deux MSP, ces derniers sont aussi ravis de leur travail. «Je viens à l’Atelier chaque matin avec le sourire», affirme Sylvain Rohrer. «Mon job m’apporte du sens. Me nourrit. Nous avons beaucoup d’échanges», complète Marc Berney. Et les deux hommes d’insister, tout au long de l’entretien, sur l’importance des liens et la valorisation de l’estime de soi dans le processus de remise sur les rails d’une population fragilisée par les aléas de la vie...