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Rêver, au-delà des frontières

Portrait de Grace Lokako.
© Olivier Vogelsang

Grace Lokako a su transformer ses difficultés en leçons.

Du Congo à la Suisse où elle étudie depuis sept ans, Grace Lokako aspire à un monde meilleur

Son plus ancien souvenir remonte à son premier jour d’école à Kinshasa. «J’étais paniquée», se remémore Grace Lokako. Vingt et un ans plus tard, elle finit un Master en management à Lausanne. Une victoire pour la petite fille qui a grandi sans son père, décédé au tournant du XXIe siècle. Une mort violente qu’elle ne réalisera vraiment qu’à sa majorité. «C’est à 18 ans seulement que j’ai pleuré pour la première fois sur sa tombe. Ma mère et mes quatre sœurs bien plus âgées que moi en parlaient pourtant souvent», raconte-t-elle avec émotion, entre tristesse et profonde gratitude envers sa famille de femmes. «Elles ont travaillé dur pour qu’on s’en sorte économiquement et que je puisse étudier. Ma mère a fait tous les métiers: de la cuisine qu’elle vendait dans la rue à la confection d’habits jusqu’à travailler dans l’immobilier.» Dans la capitale de la République démocratique du Congo comptant 13 millions d’habitants, elles (sur)vivent dans le quartier défavorisé de Bandal. C’est aussi grâce au parrainage d’une Suissesse, Anne-Marie Baudraz, qui lui versera une bourse pendant sa scolarité primaire, que Grace Lokako pourra se consacrer à sa formation. «Sans elle, je ne serais jamais arrivée là où j’en suis», appuie, reconnaissante, l’étudiante de la faculté des Hautes études commerciales (HEC), qui a tenté de retrouver sa bienfaitrice sans succès jusqu’ici.

Kinshasa-Lausanne

Ce pont avec la Suisse, dès son enfance, va se renforcer avec le mariage de sa sœur à un Helvète. A l’occasion de la cérémonie, Grace Lokako découvre Lausanne et se décide à postuler à l’EPFL en informatique. A 18 ans, elle débarque donc dans la capitale vaudoise et apprend à se débrouiller seule, tant bien que mal, loin de sa mère et de ses sœurs, loin de sa ville africaine, si «vibrante», «bruyante» et «chaleureuse». «Au Congo, on fait vite partie de la famille dès qu’on rencontre quelqu’un. La dynamique sociale est très différente d’ici», observe celle dont la force est de s’adapter, malgré les différences culturelles qui la déstabilisent parfois et malgré sa peur de l’inconnu qu’elle surmonte petit à petit, au fil de ses expériences et des ans.

Elle sourit beaucoup Grace Lokako, même lorsqu’elle évoque ses difficultés, qu’elle a su transformer en leçons de vie. «Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie qu’à l’EPFL. Mes examens ratés, deux années de suite, m’ont mis les pieds sur terre. C’était dur, d’autant plus que je me sentais mal vis-à-vis de ma famille qui m’avait soutenue financièrement. Et pourtant, cette expérience a été formidable, car aujourd’hui, je ne vois plus l’échec comme négatif.» Grace Lokako ne baisse pas les bras et entre à la faculté des HEC pour s’ouvrir «le plus de portes possible». Sa curiosité est vaste, du management aux arts, notamment la poésie, les danses de salon et le jazz, ainsi que l’écriture… Depuis deux ans, elle poste quelques-uns de ses écrits, entre autobiographie et fiction, sur son blog. Des textes qui questionnent le sens de la vie, la liberté, l’amour, l’égalité, parmi d’autres thèmes inspirants.

Une battante optimiste

En quête d’un job d’étudiant pour ne plus dépendre de sa famille, elle essuiera bon nombre de refus, jusqu’au jour où elle décide de ne plus indiquer sa nationalité sur son CV. Elle décroche alors enfin un premier mandat auprès de la commune de Saint-Sulpice pour une étude sur les petits commerces et la redynamisation du village. «Cette première expérience m’a ouvert ensuite d’autres portes, se réjouit celle qui n’a pourtant jamais ressenti de racisme à son égard. Je crois que, plus que mon origine, c’est mon permis étudiant qui représentait un blocage pour les employeurs, car il nécessite des démarches administratives.» Elle-même a dû s’habituer à la bureaucratie, renouvellement annuel de son permis oblige. A la fin de sa thèse cet été, elle aura six mois pour trouver un travail ici. «L’employeur devra prouver qu’il a besoin spécifiquement de moi, et qu’aucun autre Suisse ou Européen ne conviendrait… C’est comme si je devais me battre cinq fois plus que les autres», soupire-t-elle. Mais Grace Lokako n’en perd pas son sourire et souligne sa chance d’avoir été sélectionnée en 2019 pour un stage dans la Silicon Valley californienne, puis en Inde à Bangalore, en ce début d’année, où elle a rencontré une femme d’exception. Encore une. «Namibienne, elle a créé une organisation pour soutenir des start-up de femmes africaines. Et je suis heureuse de la rejoindre dans cette mission, révèle Grace Lokako. J’ai envie d’aider ces entrepreneuses. Il s’agit de commencer par changer la narration de l’Afrique. Nous ne sommes pas des pays pauvres, mais des pays mal gouvernés. La jeunesse est là, les richesses sont là. J’ai grand espoir. Mais avant cela, j’aimerais pouvoir travailler en Suisse histoire de mieux comprendre le monde de l’entreprise et apprendre d’un système juste et prospère.» Positive, Grace Lokako le reste même devant la crise climatique. Celle qui devait participer cet été au sommet international de la jeunesse sur le climat au Québec (reporté à 2021) n’en déplore pas moins le manque d’informations sur la durabilité dans son cursus. «Or, en tant que futurs entrepreneurs, notre impact sur la planète est grand», souligne-t-elle. A la poursuite de ses rêves, Grace Lokako n’en oublie pas le moment présent. Chaque jour, elle tente de faire un geste, aussi petit soit-il, pour laisser le monde à chaque fois un peu meilleur que la veille.