Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

«Rien ne se perd, tout se rebletze!»

Avec la Rebletzerie, Joana Simond et Julien Gurtner souhaitent remettre la réparation textile au goût du jour. A l’avenir, ils aimeraient que leur idée essaime et qu’une véritable communauté de réparateurs voie le jour.
© Thierry Porchet

Avec la Rebletzerie, Joana Simond et Julien Gurtner souhaitent remettre la réparation textile au goût du jour. A l’avenir, ils aimeraient que leur idée essaime et qu’une véritable communauté de réparateurs voie le jour.

A l’enseigne de la Rebletzerie, un atelier textile basé à Saint-Blaise (NE), Joana Simond et Julien Gurtner récupèrent des tissus, réparent des vêtements et fabriquent des sacoches de vélo à partir de matériaux recyclés. Ecoresponsable et innovant, leur projet a été primé

«On vous offrirait bien un café, mais la machine n’est pas encore branchée.» Quand nous rencontrons les Neuchâtelois Joana Simond et Julien Gurtner, en décembre dernier, ils sont encore dans les cartons. «Nous venons d’emménager dans nos nouveaux locaux ici à Saint-Blaise.» Trois hautes pièces voûtées qui ont, à l’origine, probablement servi de cave à vin. Maintenant, elles abritent la Rebletzerie*, un atelier spécialisé dans la réparation et le réemploi de textiles.

A l’entrée de ce bel espace, trône la petite table de couture sur laquelle ces jeunes entrepreneurs ont réalisé leurs premières sacoches de vélo en matériaux recyclés. C’était en 2021. «Nous les avons inaugurés et testés sur la ViaRhôna, un itinéraire cyclable qui va du lac Léman à la mer Méditerranée.» Et c’est en pédalant que ces deux ingénieurs de formation ont commencé à imaginer des solutions pour revaloriser des étoffes et autres tissus promis sinon à la déchetterie et à l’incinérateur.

Leur philosophie? «Rien ne se perd, tout se rebletze!» Dans les faits, cela se traduit par une petite manufacture qui fonctionne selon le modèle de l’économie circulaire. Avec trois axes: la réparation de jeans, vêtements techniques, fermetures éclair ou encore bagagerie, la récupération de textiles de deuxième main et la fabrication de produits upcyclés (en gros, ils font du neuf avec du vieux) à partir d’ailes de parapentes, de voiles de bateaux et de chambres à air.

Photo Thierry PorchetDu luxe à la récup’

Courageux mais pas téméraire, ce couple de trentenaires s’est lancé dans cette aventure étape par étape. «Nous avons énormément discuté, réfléchi. Nous nous sommes beaucoup informés et avons suivi le programme Activation du Hub Neuchâtel, un coaching de lancement d’entreprises innovantes, responsables et durables.» Programme couronné traditionnellement par un prix de 4000 francs que nos interlocuteurs ont d’ailleurs remporté. «Cette récompense nous a encore davantage motivés à persévérer dans cette voie que l’on avait commencé à tracer.»

L’automne passé, rebelote! Ils raflent cette fois-ci le Prix Projet d’Avenir 2023 de la Caisse cantonale d’assurance populaire (CCAP). Soit une coquette somme de 20000 francs. «Qu’une institution financière sérieuse comme la CCAP croie à notre démarche et la soutienne, c’est vraiment une belle reconnaissance.» Et aussi un joli coup de pouce financier qui leur permet d’envisager l’avenir plus sereinement. D’autant qu’ils s’investissent désormais à 100% dans la Rebletzerie.

Auparavant, les deux travaillaient dans l’horlogerie. Elle dans la recherche et le développement. Lui dans le design. «Mais le monde du luxe ne collait pas trop aux valeurs que nous défendons au quotidien.» Joanna a donc quitté son job il y a deux ans déjà pour monter leur atelier et commencer à le faire tourner. «J’ai quand même pris un emploi à temps partiel dans une épicerie pour m’assurer un revenu stable.» Julien, lui, a diminué graduellement son temps de travail. «Mon contrat s’est définitivement terminé fin décembre.» Ils sourient, visiblement contents de leur choix de vie.

Photo Thierry PorchetIdéalistes, mais pas naïfs

Le projet écoresponsable de ces Neuchâtelois contribue à la lutte contre le réchauffement climatique, puisqu’il rallonge le cycle de vie des textiles et, par conséquent, en réduit le gaspillage et l’impact environnemental. «Le textile est la deuxième industrie la plus polluante après celle du pétrole (émissions carbones et pollution chimique combinées), rappellent-ils. Selon les chiffres du WWF, le textile produirait à lui seul 1,7 milliard de CO2 par an, soit autant que les transports maritimes et aériens réunis. Un jeans, par exemple, peut parcourir jusqu’à 65000 kilomètres avant d’être vendu.»

Même si l’économie circulaire possède un grand potentiel de développement, la Rebletzerie n’est qu’une minuscule goutte d’eau dans l’océan de la production mondiale des fibres naturelles et synthétiques qui a atteint 113 millions de tonnes en 2021… «Dans le contexte actuel, mieux vaut se bouger en rêvant d’un monde meilleur que de continuer notre petite routine de consommateurs. Surtout que s’activer, ça permet de sortir des cycles un peu déprimants de l’écoanxiété.» Vous avez dit idéalistes? «Il en faut et c’est mieux que d’être défaitiste-pessimiste, non?» Effectivement.

Pour l’heure, leur entreprise ne connaît pas la crise. «Le service de réparation fonctionne bien grâce au bouche à oreille. En ce qui concerne les produits upcyclés – actuellement uniquement des sacoches de vélo –, les gens nous contactent essentiellement par le biais des réseaux sociaux. Comme nous sommes dorénavant les deux à fond dans le projet, nous aurons du temps et de l’énergie pour communiquer et nous faire mieux connaître.»

Photo Thierry PorchetCroître et multiplier

Et puis, ces milléniaux ne vont pas en rester là. Ils ont plein d’idées qui couvent et ne demandent qu’à éclore. «Nous voulons notamment mettre davantage l’accent sur la réparation, nous avons envie de la promouvoir, de la valoriser, de la démocratiser. Nos grands-parents raccommodaient leurs vêtements, reprisaient leurs chaussettes… Ce savoir s’est un peu perdu quand le prix du textile a chuté. Du coup, on va profiter de nos nouveaux locaux pour mettre sur pied des ateliers participatifs ou des cours à thèmes afin de transmettre nos connaissances en la matière.»

Joana Simond et Julien Gurtner se donnent une année pour faire décoller leur manufacture. «Ce que l’on ambitionne, c’est d’arriver à en vivre décemment et également à embarquer un maximum de monde dans notre aventure.» Dans l’idéal, ils aimeraient que leur concept fasse des émules. «Nous ne souhaitons pas diriger des employés, mais plutôt que la Rebletzerie essaime, se multiplie un peu partout, qu’une communauté de réparateurs voient le jour autour de nous.» C’est tout le bien qu’on leur souhaite.


Définition de rebletzer: réparer un trou avec une pièce rapportée.


Infos et contact

La Rebletzerie
Avenue de la Gare 2, 2072 Saint-Blaise (NE)
077 449 89 31 – la-rebletzerie.ch
Accueil à l’atelier sur rendez-vous uniquement


(Photos Thierry Porchet)

Photo Thierry Porchet

 

Pour aller plus loin

Le travail artisanal mis en lumière

une costumière

Des artisanes romandes sont à l’honneur dans une exposition à voir jusqu’au 5 janvier à la Fondation Jan Michalski.

«Forger, c’est faire chanter l’enclume et le fer»

une forgeronne en train de travailler

Talentueuse forgeronne, Bertille Laguet crée des pièces sur commande et des œuvres personnelles. Le feu de la passion au cœur de son art. Reportage.

Pourquoi a-t-elle choisi le métier de forgeronne ?

Cette forgeronne établie à Chexbres présente son métier.

La belle et le camion-benne

Chaque matin, aux aurores, Océane Minguez fait vrombir les 540 chevaux de son cinq essieux. Le camion a été préparé pour la tâche du jour et soigneusement inspecté. Cette passionnée de la conduite s’élance ensuite sur la route.

La Vaudoise Océane Minguez évolue dans un monde presque exclusivement masculin: celui des chauffeurs poids lourds. Cette jeune femme n’en tire pourtant aucune fierté, elle se sent juste heureuse et libre au volant de son 40 tonnes. Et c’est bien là l’essentiel!