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Soigner et rassurer

Portrait de Elena Torriani.
© Thierry Porchet

Elena Torriani rêve d’un monde où tous bénéficient de conditions de vie dignes.

En raison de la pandémie, Elena Torriani, infirmière à domicile, est souvent l’unique personne que rencontrent ses patients. Mission plurielle pour cette soignante engagée sur plusieurs fronts

Chaque jour, Elena Torriani sillonne les rues désertes de Lausanne pour rendre visite à ses patients. Infirmière à domicile employée par un Centre médico-social (CMS), cette femme de 38 ans prodigue des soins à des personnes particulièrement vulnérables. «La plupart d’entre elles ont plus de 65 ans et de multiples pathologies», précise Elena Torriani qui, avec l’arrivée de la pandémie de coronavirus, a vu son quotidien chamboulé. «On a dû faire face à d’importantes tâches supplémentaires. Il a fallu très rapidement réorganiser entièrement les activités. Trouver des solutions pour les courses, les repas. Et renforcer l’accompagnement», explique la trentenaire soulignant qu’elle est souvent l’unique personne que rencontrent ses protégés dans la journée, voire la semaine. «Beaucoup d’entre eux sont heureux de me voir. Ils sont livrés à eux-mêmes. Souvent isolés. Et ont très peur. J’ai aussi le rôle de les rassurer», note Elena Torriani qui, si elle n’est pas inquiète pour elle, craint de véhiculer la maladie malgré toutes les précautions prises. «On est très exposé. Et impossible de respecter la distance de sécurité quand il s’agit, par exemple, de désinfecter une plaie.» Une charge mentale supplémentaire pour la professionnelle de la santé, en couple et mère de deux enfants de 3 et 7 ans, qui souligne la solitude induite par la nature même de son travail, exercé depuis cinq ans. «Emotionnellement c’est difficile.»

Applaudir et s’en souvenir

La jeune femme qui a auparavant œuvré une dizaine d’années au CHUV, dont plusieurs dans le secteur oncologique, évoque également la pénurie de personnel et les facteurs à l’origine du problème. «Nombre d’infirmiers quittent la profession avant l’heure. Pénibilité, stress, horaires irréguliers, entre gardes et week-ends, salaires trop bas... Le travail dans la santé n’est pas valorisé. Aujourd’hui, on nous remercie pour notre engagement. On nous applaudit. Ça fait du bien, mais il s’agira de ne pas l’oublier après la crise.» La Vaudoise d’adoption – elle est originaire du canton du Tessin – note encore l’importante contribution des frontaliers employés dans le domaine: «Nous avons grand besoin d’eux. Aussi dans les CMS. Et pourtant, on entend toujours des discours négatifs à leur égard.» De quoi énerver Elena Torriani fustigeant la tendance de certains à désigner les étrangers responsables de nos maux. Et alors que l’ouverture à l’autre se révèle naturelle pour cette infirmière ayant grandi à Renens, une localité multiculturelle. «Déjà enfant, j’ai toujours côtoyé des personnes de toutes nationalités. Un enrichissement.» Un congé sabbatique d’un an en Amérique du Sud a encore renforcé son intérêt pour la différence, qualifiée de «passionnante». Ses parents, le cœur bien ancré à gauche, ont par ailleurs joué un rôle prépondérant dans son humanisme et ses choix politiques.

Les pieds dans la terre

Militante au Parti ouvrier et populaire (POP), Elena Torriani a siégé aux conseils communaux de Renens puis de Lausanne, avant de mettre un frein à son engagement. «Aujourd’hui, en tant que mère, je dispose de moins de temps. Et je suis aussi un peu fatiguée par les batailles partisanes, mais je m’identifie toujours aux idées véhiculées par le POP.» Fibre sociale mais aussi féministe et écologiste avec la participation régulière à des manifestations défendant ces causes. Et alors que, depuis plus de dix ans, la Vaudoise préside les Jardins d’Ouchy, une association mettant en relation directe des producteurs avec des consommateurs. Avec, à la clef, des paniers de fruits et de légumes locaux, de saison et une rémunération correcte des paysans. «Les membres en reçoivent une trentaine par année. On ne choisit pas le contenu mais on peut faire des échanges. J’aime bien pour ma part cette manière de faire. Plus besoin de réfléchir à ce qu’on va cuisiner», sourit Elena Torriani, qui cultive également son propre potager, agrémenté de fleurs. «J’adore travailler la terre. Si je ne m’étais pas orientée dans la santé, j’aurais probablement choisi une profession en lien avec ce domaine.» La nature, et en particulier les marches en montagne, contribue à ressourcer la Vaudoise qui trouve encore dans la pratique du yoga et la présence des siens une énergie propre à la régénérer. Si Elena Torriani associe le bonheur à une vie et des conditions dignes pour tous, elle n’en est pas moins heureuse à son échelle: «Je ne peux me permettre de ne pas l’être quand bien même j’ai parfois des coups de mou. Je fais plutôt partie des privilégiés.»

La force tranquille de l’ours...

Dans le contrôle bien que de nature assez angoissée, déterminée sans échapper aux doutes et aux remises en question, Elena Torriani se définit comme une personne particulièrement sensible. Et qui exprime ses émotions. «On s’est toujours dit les choses dans ma famille», précise-t-elle même si, enfant, elle pouvait se montrer assez secrète. Des années de travail en oncologie auront aussi contribué à forger la personnalité de l’infirmière. «Très riches mais aussi atroces. Cette période restera gravée à vie», note Elena Torriani. Sur le front du Covid-19, la soignante mentionne la nécessité de dresser un bilan à l’issue de la crise, d’en tirer les leçons et d’agir solidairement. «Il s’agira de se souvenir de tous ceux qui se trouvaient en première ligne... Il y aura aussi des plaies à panser liées aux deuils. Il faudra également parer au désastre économique, regarder comment aider toutes les personnes touchées. Et, enfin, réfléchir à nos modes de vie.» Vaste programme. A appréhender peut-être avec la «force tranquille» d’un animal qui fascine Elena Torriani, l’ours, car «il semble que rien ne peut l’abattre»...