Une formation, organisée par la Bourse à Travail, permet à des personnes migrantes d’apprendre toutes les ficelles de la cuisine européenne
Cheffe! Cheffe! C’est le mot que l’on entendra le plus souvent, décliné en plusieurs accents chantants, en cette matinée de formation. Une appellation donnée à Christelle François, au sourire et à la passion communicative. Celle de la bonne table. A ses débuts commis de cuisine, puis cheffe de partie dans des palaces en France, son pays d’origine, elle devient cheffe de cuisine à Lausanne. Mais, après trente ans de métier, elle doit se reconvertir à la suite de problèmes de santé liés à son travail. Celle qui aimait prendre sous son aile les stagiaires rebondit alors pour devenir formatrice d’adultes avec brevet fédéral. En guise de pratique lors de sa formation, Christelle François propose un projet à la Bourse à Travail (BAT), petite association créée en 1985 à Lausanne. «Je suis arrivée avec un support de cours et une idée bien précise de la formation que je voulais donner», partage-t-elle, entre deux conseils donnés à ses sept élèves du jour, Noura Champier, Eskabel Habte, Jeroshini Ramesh, Kaltume Idriss, Jucelita Dos Santos, Edna Cá Ié et Kadar Cabdulkadir.
Un autre midi
Dans la cafétéria de Pôle Sud, centre socioculturel de l’Union syndicale vaudoise, où se déroulent les cours théoriques et pratiques, Christelle François explique avec patience et calme la marche à suivre. Le menu du jour: velouté de chou-fleur, pâtes fraîches trois couleurs confectionnées maison, avec leurs trois sauces, et tiramisu. Noura Champier, marocaine d’origine, mais qui a grandi en Italie, explique à l’une de ses collègues l’art de mélanger délicatement le mascarpone aux œufs blanchis avec le sucre. «Pour moi, c’est facile. Mais on ne finit jamais d’apprendre. On a chacun nos difficultés.»
Un peu plus loin, en charge de la pâte à tagliatelles, Edna Cá Ié ne cache pas son embarras: «Chaque mardi, on fait les recettes pour la première fois. C’est un exercice, mais on est un peu perdu. Le vendredi, quand on cuisine pour les gens, on connaît déjà...» Le projet L’Autre Midi permet à tout un chacun de venir manger à Pôle Sud (de 12h30 à 14h), à prix libre et sans inscription, tous les vendredis hors vacances scolaires. Une initiative de l’animatrice socioculturelle Elise Magnenat qui se chargeait, auparavant, elle-même des repas avec l’aide parfois de bénévoles. Depuis septembre, c’est la brigade de cuisiniers de la BAT qui nourrit quelque 25 clients en moyenne. Christelle François précise: «Le prix libre, c’est important pour que tout le monde puisse venir. Donner à manger, c’est aussi donner du réconfort.» Ce moment de repas se veut autant convivial que propice aux échanges et représente une fantastique occasion de formation.
Cuisine européenne
Au cœur de la mission que s’est donnée Christelle François: l’apprentissage de la cuisine européenne. La cheffe explique: «Ce sont toutes de bonnes cuisinières – je parle au féminin car la majorité de mes élèves sont des femmes – mais souvent elles ne connaissent pas les plats d’ici, et ne savent pas trop quoi faire des produits qu’on trouve dans les magasins. Je veux donc leur apprendre un maximum de techniques, le langage culinaire, l’usage du matériel, mais aussi l’aspect environnemental, biologique, même si l’on ne peut pas acheter que du bio au vu de notre budget. La formation se déroulant de septembre à décembre, je fais aussi des exceptions à la règle de saisonnalité, pour moi généralement très importante, pour qu’elles puissent apprendre un maximum de recettes.»
En aparté, Kaltume Idriss indique: «C’est une cheffe digne de ce nom. Elle fait en sorte qu’on comprenne. Elle ne crie pas, mais nous explique quand ce n’est pas correct.» Passionnée par le cours, elle ajoute: «Je refais les recettes chez moi. Parfois des questions me viennent que je peux ensuite poser à la cheffe. Je faisais déjà les quiches, les fondues, avant la formation. Mais ici j’ai appris à faire davantage de choses maison. Comme aujourd’hui les pâtes et le pesto.» A l’instar de ses camarades, Kaltume Idriss est à la recherche d’un emploi, dans la restauration si possible, après avoir travaillé dans une usine de chocolat et dans le secteur du nettoyage.
Trouver un emploi
«Ce n’est pas facile de trouver du travail, quand on n’a pas de diplôme. Les papiers sont importants en Suisse», lance de son côté Jucelita Dos Santos, du Brésil, qui a travaillé chez des privés comme femme de ménage. Et espère réussir son examen théorique et pratique après ces trois mois de formation afin d’obtenir son premier certificat.
«Quand on n’a pas d’expérience, c’est aussi compliqué de trouver un poste», renchérit Jeroshini Ramesh, qui a étudié la linguistique au niveau universitaire au Sri Lanka. Depuis son arrivée en Suisse, l’intellectuelle se débrouille, proposant ses services de maquilleuse pour des mariages, se formant aux techniques de vente à la BAT, prenant des cours d’informatique… «J’aime apprendre, mais j’aimerais vraiment trouver du travail», dit-elle sans perdre son sourire.
Seul homme du groupe, originaire de Somalie, Kadar Cabdulkadir confie: «Ici, j’ai appris beaucoup de choses, les techniques, les produits, la prudence aussi. Et beaucoup de nouveaux mots...» L’air de rien, ces cours favorisent l’apprentissage du français. «Quand il y a plusieurs personnes du même pays, j’insiste pour qu’ils parlent en français uniquement, souligne Christelle François. Leurs progrès sont clairs entre le début de la formation et la fin. Car la communication est très importante en cuisine.»
La cheffe, elle-même, apprend beaucoup, notamment des spécialités de ses étudiants, amenées lors du pique-nique canadien de fin de formation. «La majorité de nos élèves viennent d’Asie ou d’Afrique. Les piments, wouahou! ça déchire! rit-elle. J’ai découvert le gâteau à la patate douce, la soupe d’avocats et j’ai été vraiment très impressionnée par la cérémonie du café.»
L’examen pratique des apprenants aura lieu pendant le marché de Noël solidaire, organisé par Pôle Sud et la Fédération vaudoise de coopération (FEDEVACO), réunissant une quarantaine d’ONG. Ce sera l’occasion de goûter à leurs plats. Davantage d’informations sur: polesud.ch ou fedevaco.ch
Du 12 au 14 décembre. Jeudi et vendredi: 17h-22h; samedi: 11h-20h.
Pôle Sud, av. Jean-Jacques-Mercier 3, Lausanne.