Aller au contenu principal
Menu

Thèmes

Rubriques

abonnement

Travailler gratuitement non merci

L'Alliance contre le burn-out et le travail gratuit est déterminée à combattre les initiatives parlementaires

Les initiatives lancées par Konrad Graber et Karin Keller-Sutter sont, selon les syndicats, une atteinte à la réglementation du temps de travail en Suisse ouvrant les portes à la flexibilisation sauvage, au travail non rémunéré et à l'épuisement professionnel. Après avoir été avalisés en commission, les textes seront prochainement débattus aux Chambres. L'Alliance se dit prête à aller jusqu'au référendum pour empêcher cela.

Des centaines de milliers de salariés ne noteront plus leurs heures de travail effectives, la durée hebdomadaire maximale de travail sera abolie pour certaines catégories d'employés, et l'interdiction du travail de nuit et du dimanche se verra contournée: voilà ce qui nous attend derrière les deux initiatives parlementaires déposées respectivement par Karin Keller-Sutter et Konrad Graber. «Le camp bourgeois au Parlement attaque aujourd'hui frontalement la protection de la santé en place», a dénoncé Vania Alleva, présidente du syndicat Unia, lors d'une conférence de presse le 2 mai à Berne. «L'obligation d'enregistrement du temps de travail et la réglementation des horaires le dérangent tout particulièrement. Alors même que le Conseil fédéral vient d'assouplir le régime de saisie du temps de travail en 2016, Konrad Graber (PDC) et Karin Keller-Sutter (PLR) appellent dans leurs interventions à encore plus de déréglementation.» Unia, sous la houlette de l'Union syndicale suisse (USS), s'est regroupé aux côtés de Travail.Suisse au sein de l'Alliance contre le burn-out et le travail gratuit pour contrer cette volonté de démanteler la Loi sur le travail. L'Alliance rappelle que cette dernière constitue une protection nécessaire - et bien souvent la seule en place - contre les abus tels que le travail 24h/24, contre les horaires morcelés, l'obligation de rester constamment joignable, le stress et le burn-out. «Dans le secteur des services en particulier, le taux de couverture des conventions collectives de travail laisse à désirer, poursuit Vania Alleva. Les horaires de travail réglementés et la saisie du temps de travail constituent dès lors le meilleur garde-fou contre le surmenage au travail.»

Le travail, c'est la santé?
Le stress au travail serait l'une des conséquences catastrophiques dénoncées par l'Alliance. Pour Adrian Wüthrich, président de Travail.Suisse, les deux initiatives parlementaires sont un «véritable poison» pour la santé des travailleurs. D'ailleurs, la Société suisse de médecine du travail (SSMT), qui assure que l'organisation du travail est l'un des facteurs qui influencent la santé des gens, s'inquiète elle aussi de cette évolution. «Les dépressions, les troubles anxieux et les absences prolongées en cas de syndrome d'épuisement (burn-out) augmentent fortement, remarque Klaus Stadtmüller, président de la SSMT. La saisie contrôlable du temps de travail reste la meilleure mesure permettant d'envoyer assez tôt des signaux d'alarme en cas de risque de surcharge et de garantir la protection de la santé des travailleurs.» Et de rappeler que ces derniers sont des êtres vivants, pas des machines! «Notre corps et notre esprit ont besoin de temps pour assimiler et se régénérer, insiste l'expert. Cela veut dire que nous avons besoin de suffisamment de temps de repos et de pauses.»

Des milliards sur le dos des salariés
Outre les impacts sur la santé, ces deux initiatives sont un énorme manque à gagner pour les salariés. Le syndicat Syna a calculé que l'initiative parlementaire Keller-Sutter permettrait aux employeurs d'économiser plus de 2,8 milliards de francs par an sur le dos de leurs employés exerçant une fonction dirigeante et pour les spécialistes concernés. Des sommes qui seraient également soustraites aux assurances sociales. «Le travail gratuit priverait l'AVS d'un quart de milliard de francs de contributions salariales, et un total de 358 millions de francs par année serait ainsi soustrait aux assurances sociales» explique Arno Kerst, le président de Syna.

Prévenir
Ce qui étonne les membres de l'Alliance, c'est cet acharnement des partis bourgeois et des milieux patronaux à vouloir attaquer ces dispositions, alors même que la durée et l'intensité du travail en Suisse sont, en comparaison internationale, déjà très élevées. Pour Paul Reichsteiner, président de l'USS, il ne faut pas abandonner les dispositions de protection, mais les adapter aux nouveaux défis, pour autant que les intérêts des salariés soient respectés. «Pour ce faire, il faut par exemple penser à la protection contre les maladies dues au stress.»
En effet, l'Enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents de 2014 a montré qu'en Suisse, seuls 45% des entreprises procèdent régulièrement à une évaluation des risques notamment au sujet du stress au travail, alors que la moyenne dans l'Union européenne s'élève à 74%...
Pour conclure, les syndicats sont unanimes: ils ne sont pas contre la flexibilité, mais celle-ci doit profiter aux travailleurs et tenir compte de leur santé et de leurs besoins sociaux.

Manon Todesco

 

 

Les initiatives en détail
Deux initiatives parlementaires sont au cœur du débat. Celle de la conseillère aux Etats Keller-Sutter (PLR), «Libérer le personnel dirigeant et les spécialistes de l'obligation de saisie du temps de travail», et celle du conseiller aux Etats Graber (PDC), «Introduire un régime de flexibilité partielle dans la loi sur le travail et maintenir des modèles de temps de travail éprouvés». Pour les syndicats, ces textes visent à démanteler la Loi sur le travail et mettent en danger la protection des travailleurs. Il s'agit, plus précisément, de supprimer l'enregistrement du temps de travail, d'abroger le repos nocturne et dominical, de revenir sur la durée hebdomadaire maximale du travail ou encore de tirer un trait sur les droits aux pauses.
Pour la députée, par exemple, il faut «modifier la loi afin que les collaborateurs exerçant des fonctions dirigeantes et les spécialistes occupant une position similaire soient libérés de l'obligation de saisir leur temps de travail», et ce dans le but de répondre aux besoins du monde du travail actuel. Pour son confrère, il est urgent de remanier les temps de travail hebdomadaires, qui répondent selon lui aux exigences de l'industrie du siècle dernier et ne sont plus du tout adaptés à notre société des services. «Google a d'ailleurs transféré des emplois à Londres en raison notamment du manque de souplesse de nos règles sur le temps de travail.»
MT



Chronologie
Toutes deux déposées en mars 2016, les initiatives 16.414 et 16.423 ont ensuite été examinées à la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des Etats en août, qui a décidé de leur donner suite. En février 2017, la commission éponyme du Conseil National donne son aval aux initiatives. La balle est à nouveau dans le camp de la commission du Conseil des Etats qui est chargée d'élaborer un projet de modification de la loi. Un processus qui prend au minimum un an avant que les Chambres s'en saisissent. La commission susnommée discutera de l'organisation des travaux à venir lors de sa prochaine séance, fin juin.
MT