La France a connu sa troisième journée de grève et de manifestations, hier mardi. Le mouvement contre la réforme des retraites ne désarme pas. Le gouvernement Borne s’entête malgré tout. «C'est la réforme ou la faillite», estime le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal. Certes, en raison du vieillissement de la population, le régime des retraites français devrait accuser un déficit ces prochaines années. De l’ordre de 0,6% du PIB à l’horizon 2030, soit 16 milliards d’euros par an. Mais il y a divergence sur le remède à appliquer au malade. Le gouvernement, soutenu par les Républicains, veut décaler l'âge légal de départ de 62 à 64 ans en 2030. Et accélérer l'allongement de la durée de cotisations de 41 ans et demi à 43 ans dès 2027, alors que la réforme Touraine ne prévoyait cette disposition qu’en 2035. S'ils n'ont pas cotisé suffisamment, les actifs devront attendre 67 ans pour bénéficier d’un départ à taux plein. La réforme met aussi fin aux régimes spéciaux. Dans les transports publics parisiens ou la branche des industries électriques et gazières, les futurs embauchés dépendront du régime général moins avantageux. Enfin, il est prévu une revalorisation modeste du minimum de retraite pour la carrière complète. Actuellement fixé à 1100 euros, il atteindrait 85% du salaire minimum, soit 1150 euros.
Report non négociable...
Les syndicats, la gauche, le Rassemblement national et 72% des Français s’opposent au texte. C’est que l’effort demandé pour atteindre l’équilibre repose entièrement sur les actifs, rien n’est demandé aux actuels retraités, ni aux entreprises ni aux contribuables.
Qui plus est, les grands perdants de la réforme sont ceux qui ont commencé à travailler jeunes, les professions manuelles et celles ne demandant pas de suivre des études. Aujourd'hui, à condition d'avoir cotisé un peu plus longtemps, les personnes qui ont débuté tôt peuvent partir à 58 ans ou à 60 ans, selon qu'elles ont commencé avant 16 ou 20 ans. Cela ne sera plus valable que pour les travailleurs et les travailleuses entrés dans la vie active avant 18 ans. Pour les autres, il faudra attendre 62 ans. Ce n’est pas anodin sachant que les ouvriers ont une espérance de vie en bonne santé inférieure de dix ans à celle des cadres supérieurs.
Plutôt que de faire porter l’essentiel de l’effort sur les ouvriers et les employés, il aurait été possible d’augmenter les cotisations et de faire contribuer les retraités. La France est l’un des rares pays où le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs. Certains proposent de taxer les plus aisés, à l’instar de Bernard Arnault, le patron de LVMH devenu l’homme le plus riche du monde avec une fortune de près de 200 milliards d’euros. Ses 2,4 milliards de dividendes perçus l’année dernière suffiraient à combler le déficit des caisses de retraite attendu pour l’année 2023. Mais la Première ministre Elisabeth Borne martèle que ce report à 64 ans «n’est pas négociable».
La mobilisation se poursuit
«Tu nous mets 64, on re-Mai 68» est l’un des slogans qui ont fleuri dans les cortèges. Commencée le 19 janvier, la mobilisation s’est amplifiée au cours de la deuxième journée de grève, le 31 janvier, avec quelque 2,5 millions de salariés en arrêt de travail ou participant aux manifestations. L’issue de la journée du 7 février n’était pas connue lundi, au moment du bouclage de ce numéro, mais une marée humaine s’apprêtait à déferler dans 250 villes. Les grèves ne se limitent pas aux secteurs publics, des arrêts de travail ont été signalés dans l’aéronautique (Airbus), l’alimentaire (Cargill, Lu), la grande distribution (Fnac) ou les ports. Dans la Vienne, des syndicalistes CGT ont rétabli le gaz et l'électricité à des foyers qui en étaient privés à la suite de factures impayées, tandis que leurs collègues marseillais faisaient passer les boulangeries en heures creuses. Plus près de chez nous, de nombreux TGV entre la Suisse et la France étaient supprimés, ainsi que des trains du Léman Express.
Une nouvelle journée d’actions est prévue ce samedi 11 février. L’intersyndicale appelant, d’ici là, à multiplier les initiatives et les réunions partout sur le territoire, dans les entreprises, les services et les lieux d’étude, y compris par la grève.