Témoignages
Thérèse*, la soixantaine, plus de 20 ans d’entreprise
«Lors d’une nuit de piquet, on a mis l’ambiance pour oublier le froid. On a tellement rigolé, c’était fou! Honnêtement, si je devais recommencer, je recommencerais. Notre but, c’était de discuter. Ils n’ont pas été corrects avec nous. Ils nous ont appelés un par un pour nous proposer un plan social où il n’y avait rien dedans: aller travailler à Micarna à Courtepin, ou rien. Ce matin de février, à 4h30, on voulait un dialogue, mais ça n’a pas été possible. Et on est partis en grève. Même si c’était difficile, même si on n’a pas reçu assez – car le plus gros veut rester plus gros, et que le plus petit est toujours bafoué – ça valait la peine. Nous étions très fiers. Malgré ce froid-là, malgré les chefs, on a défendu nos droits. On n’aurait pas eu d’améliorations à notre plan social si on ne s’était pas battus. Je trouve dommage que les gens soient retournés trop vite travailler, mais je peux comprendre leur peur. J’aurais aimé continuer à travailler ici jusqu’à ma retraite. Je vais avoir droit à une préretraite, une rente-pont, mon deuxième pilier. Je devrais avoir 4000 francs, assez pour payer mon loyer. Dans tous les cas, c’est la santé qui compte. Je vais partir en vacances, me cultiver un peu, apprendre l’informatique, créer quelque-chose…»
Antoneta*, la cinquantaine, plus de 15 ans d’entreprise
«Je me souviens de la manifestation d’Unia, à la Riponne, jusqu’à la Migros au centre-ville. Ça m’a rappelé les mobilisations «En quatre ans, on prend racine», pour avoir des papiers. Aujourd’hui, je suis naturalisée, mais on a dû beaucoup lutter. Se battre encore, depuis une année, m’a achevée. Je suis en arrêt maladie. Je n’arrive plus à dormir, j’angoisse. J’ai tellement donné pour mon boulot pour en arriver là… J’ai postulé ailleurs, mais je n’ai rien trouvé. Une question d’âge sûrement et je n’ai pas de diplôme. J’ai très mal vécu cette annonce de fermeture, surtout parce qu’on nous a manqué de respect. On nous a maltraités. Et puis, mon mari est arrivé à la retraite l’année passée. Et j’ai encore une fille aux études. Heureusement, on a trouvé un appartement moins cher. Je ne regrette pas d’avoir fait la grève, mais je me demande si on a vraiment gagné quelque-chose. Depuis une année, ils sont tellement durs. J’ai dû former des temporaires pour que ceux-ci prennent ma place! Normalement, je devais être licenciée en septembre l’année passée. Quand je l’ai appris, j’ai fondu en larmes. Finalement, on m’a permis de continuer jusqu’à la fermeture. A un moment, on nous a informés que les cas de rigueur entre 55 et 58 ans auraient également droit à une préretraite. Puis, quelques semaines plus tard, on nous a dit que finalement non. Par contre, on pouvait encore écrire une lettre pour la demander. Mais personne n’a reçu de réponse positive. Jusqu’à présent, on nous traite comme des numéros. J’ai même reçu une lettre avec, au verso, un autre nom que le mien. Sûrement une erreur de… copié-collé. On nous a proposé de travailler pour l’e-Shop, mais avec mes problèmes de dos, c’est impossible. Cela fait 15 ans que je travaille à la facturation, debout, dans le froid, à environ 10°C, ça use… Aujourd’hui, j’essaie d’être positive, mais je n’y arrive plus. Quand je pense à Micarna, je me sens vraiment mal.»
François, la soixantaine, plus de 25 ans d’entreprise
«Je me souviendrai toujours du moment, le premier jour de grève, quand les employés de nuit nous ont rejoints à 4h30 du matin. On était 84 salariés, et 84 à être présents. Ça m’a beaucoup surpris. C’était magnifique. On a fait bloc, c’était impressionnant! Aujourd’hui, je m’en sors bien vu mon âge. Mais pour mes collègues en-dessous de 58 ans, je suis écœuré. Je suis vraiment déçu de la manière dont tout ça s’est passé. Je me souviens des rumeurs de fermeture des mois avant. Début février 2024, on nous rassurait encore en nous promettant des investissements. Une semaine après, la direction nous annonçait la fermeture, avec comme unique choix d’accepter un poste à Courtepin ou alors de déposer notre démission. Même à des dames qui n’avaient pas de permis de conduire. Ils n’ont pas été honnêtes. Jusqu’à présent, il y a des menaces du style: “Vos 2500 francs, on n’est pas obligés de vous les donner”! Oublier de timbrer si vous prenez un café peut vous valoir un licenciement. Tout avertissement est bon pour ne pas payer le plan social.»
*Prénoms d'emprunt