Ecrivain, courtier en immeubles, chroniqueur radio, programmateur artistique... l’inclassable Philippe Battaglia s’apprête à publier La Robe de béton. D’une casquette à l’autre
De l’optimisme à revendre, une pointe de nihilisme et une larme de fatalisme: voilà la recette du bonheur de Philippe Battaglia. L’homme, fraîchement marié, affirme sans une once d’hésitation être heureux, appréhendant la vie comme un vaste terrain de jeux. Une vision qui conduit cet hyperactif de 38 ans à cumuler les activités. Pour gagner son pain, le Valaisan travaille depuis une douzaine d’années comme courtier en immeubles. Un job qu’il apprécie en raison de sa variété et de la liberté qu’il lui offre. Parallèlement, celui qui a aussi été cuisinier dans un institut psychiatrique, vide-poubelle dans une banque, archiviste dans une abbaye, caissier dans un centre commercial, vidéaste amateur mais primé, employé de commerce équitable dans un hôpital, punk de salon, étudiant peu assidu... se consacre à l’écriture et à la promotion de la culture. Auteur d’un livre paru ce printemps à L’Age d’Homme, Personne n’aime Simon, Philippe Battaglia signe avec ce titre une fable fantastique, burlesque, noire. La bêtise, l’absurde, les incohérences, la méchanceté nourrissent sa plume graphique et trouve son public. L’écrivain, admiratif de Terry Pratchett et de Douglas Adams, n’en est toutefois pas à son coup d’essai. Il a déjà, par le passé, publié plusieurs nouvelles parues sous un pseudonyme. Des récits puisant leur sève dans le registre de l’horreur. Même matière première pour ses courts métrages où l’épouvante tient le rôle principal.
L’horreur et la montagne
«Le choix de ce créneau? L’envie de se faire peur. D’effrayer les autres également. Une forme d’exutoire. Avec aussi, un peu, la volonté de provoquer. De choquer. Et gosse j’aimais déjà les trains fantômes», répond l’artiste polyvalent qui a troqué son look de punk à crête et blouson de sa jeunesse contre un élégant costume trois pièces. «On se range, mais on n’oublie pas. Et, avec la calvitie, c’est plus difficile de maintenir la coupe», sourit le courtier en immeubles loin de renier ses révoltes adolescentes contre l’injustice, le système et sa quête d’une forme d’humanisme. «Mais par la suite, on n’a pas trop le choix. Il faut ajuster le curseur, même si je suis conscient du paradoxe», poursuit le trentenaire aux nombreux tatouages, tout en tirant sur une cigarette. Si l’écrivain a aujourd’hui renoncé au cinéma réclamant trop de moyens, l’horreur reste une source d’inspiration. Et se décline désormais dans la toute nouvelle collection «Gore des Alpes» qu’il dirige. «Celle-ci a pour but de publier des romans courts avec, pour fils rouges, l’horreur et la montagne», précise le Montheysan qui a déjà prévu la parution à la mi-octobre de deux ouvrages d’auteurs du cru et du sien La Robe de béton. Une histoire inspirée du vécu de son grand-père italien qui a travaillé à la construction du barrage de la Grande Dixence. La trame met en lumière ce microcosme «presque carcéral» chargé de la sueur des ouvriers, des difficiles conditions de vie dans les baraquements, des liens tissés, des accidents mortels et des cadavres coulés dans le béton... «Des faits avérés. Dans ma fiction, ils ressusciteront», révèle Philippe Battaglia animé par le désir de rendre hommage à son proche.
Le Kremlin, un super jouet
«Enfant, je l’ai accompagné sur l’ancien chantier. Je me suis servi de son témoignage et j’ai mené mes propres recherches.» Avec ce besoin intrinsèque que l’auteur ressent de raconter des histoires, aussi pour se découvrir: «On écrit pour se connaître. Du moins dans l’absolu.» Un exercice auquel le passionné s’adonne avec facilité, noircissant des cahiers de notes avant de se lancer à proprement parler. «On peut alors tout se permettre. Une démarche jubilatoire.»
L’écrivain s’investit aussi largement dans la culture, «celle qu’on ne voit pas ailleurs». Son terrain d’action? Le Kremlin. Ce cinéma a rouvert en 2015 et conservé ce surnom. «Le bâtiment a été ainsi baptisé, car il a jadis été financé par les bénéfices de la vente de pipelines de l’usine Giovanola en Russie.» Président de l’association les Vilains gamins qui gère la salle obscure accueillant aussi des concerts, le Montheysan participe à l’organisation et à la programmation des événements: «La tâche prend beaucoup de temps et d’énergie. Mais c’est un super jouet.» Enfin, Philippe Battaglia tient une chronique quasi hebdomadaire à Radio Chablais. Des billets d’humeur en relation avec l’actualité où le joyeux trublion donne toute la mesure de son esprit de contradiction et d’observation.
Que Dieu s’explique!
«Je me fais un peu l’avocat du diable. Je provoque dans le but de générer des réactions», souligne le Valaisan qui se dit irrité par les incohérences, la mauvaise foi et la bêtise, «néanmoins terriblement inspirante». En revanche, pour effrayer cet artiste familier du registre de l’horreur, il faudra repasser. «Je peux sursauter. Etre dégoûté par une scène, mais cela ne troublera pas mon sommeil. Même dans la vraie vie, rien ne me fait peur en particulier.»
Pour se ressourcer, cet urbain assumé qui confie avoir besoin de bruit autour de lui – «au point où, autrefois, je ne parvenais pas à dormir sans la télévision» – compte sur son foyer, son «cocon.» Un espace qu’il partage avec son épouse et son chat, admiré pour son indépendance: «On se ressemble. Son affection se mérite. En fait, nous habitons chez lui.» Et en présence, élément du mobilier de la salle de séjour, d’un cercueil véritable, rempli de jeux de société. «Ça me fait rire. C’est aussi une manière de désacraliser les choses», déclare cet agnostique qui, s’il était en ligne avec Dieu, lui demanderait de s’expliquer: «Vu l’état du monde, il aura alors intérêt à avoir de bonnes raisons...» K