Une décision «irresponsable» des directeurs cantonaux des travaux publics
Le nouvel Accord intercantonal sur les marchés publics privilégie le lieu de provenance des entreprises soumissionnaires sur le lieu d’exécution
L’Union syndicale suisse, Travail.Suisse, ainsi que les syndicats Unia et Syna condamnent «avec la plus grande vigueur» le nouvel Accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP), qu’ils jugent dans un communiqué «irresponsable». La révision de cette convention a été adoptée à l’unanimité le 15 novembre dernier par la Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l’aménagement du territoire et de l’environnement (DTAP). Le gros problème pour les syndicats, c’est que la nouvelle mouture conserve la règle du lieu de provenance, qui définit notamment les conditions de travail et de salaires des entreprises soumissionnaires. Ce qui ne peut que favoriser le dumping salarial, comme l’a reconnu le Parlement, qui a préféré le principe du lieu d’exécution dans la nouvelle Loi fédérale sur les marchés publics (LMP, adoptée en juin dernier et qui régit le droit des marchés publics de la Confédération).
Partenaires sociaux unanimes
«Le lieu de provenance ne peut que créer une inégalité de traitement. Prenons le cas de la branche paysagiste du canton de Vaud, qui bénéficie, contrairement aux cantons de Neuchâtel et de Fribourg voisins, d’une convention collective de force obligatoire. Un paysagiste français doit l’appliquer, mais un paysagiste fribourgeois, par contre, pourrait en être exempté si l’on suit l’AIMP. C’est une situation pour le moins particulière… Autre exemple avec un menuisier alémanique qui pourrait travailler dans le canton de Fribourg le samedi, jour de travail interdit par la Commission paritaire du second œuvre fribourgeoise. Cela constituerait une concurrence déloyale envers les collègues fribourgeois qui doivent obtenir une dérogation», explique Aldo Ferrari, vice-président d’Unia. «A moins de remettre en cause le partenariat social, les cantons n’ont pas de raison de revenir sur les accords passés entre les partenaires sociaux. L’un des rôles des cantons est justement de veiller au respect des conventions collectives. L’AIMP devrait tenir compte de l’avis des partenaires sociaux qui sont unanimes sur la question. Et, d’ailleurs, à l’heure de l’urgence climatique, quel est l’intérêt pour une collectivité publique de faire venir des entreprises de l’autre bout de la Suisse et de les faire rouler 150 kilomètres chaque jour sur l’autoroute?» souligne le responsable du secteur artisanat du syndicat.
Pour l’Autorité intercantonale pour les marchés publics, émanation de la DTAP, le principe du lieu de provenance, contrairement à la Confédération, reste valable tant que la Loi fédérale sur le marché intérieur (LMI), dont découle l’AIMP, n’a pas été modifiée en ce sens. Certains cantons, en particulier romands, ont toutefois demandé que le lieu d’exécution soit privilégié. L’Autorité intercantonale a alors réclamé à la Commission de la concurrence une expertise. Selon celle-ci, écrit l’Autorité intercantonale, «ce principe du lieu de provenance ne s'applique pas de façon absolue. Le principe peut être limité dans des cas individuels en faveur du principe du lieu d'exécution, mais uniquement lorsque cela est nécessaire pour sauvegarder des intérêts publics prépondérants et que la protection de ces intérêts n'est pas déjà assurée par les prescriptions du lieu de provenance.» Comme le note dans un communiqué Constructionsuisse, «cet aspect nécessite encore d’être clarifié». La faîtière des associations patronales de la construction se réjouit du moins que, comme dans la LMP, la qualité de la prestation compte autant que le prix et que le marché soit attribué à «l’offre la plus avantageuse et non pas à l’offre la plus économique, comme c’était le cas jusqu’à présent».
Interventions politiques
Les cantons sont maintenant appelés à intégrer dans leur droit cantonal l’AIMP, qui entrera en vigueur dès que deux cantons y auront adhéré, soit dans une année au minimum. Les syndicats, eux, n’entendent pas en rester là, indique Aldo Ferrari: «Nous sommes en train de mettre sur pied des interventions politiques dans les cantons et nous allons également saisir le Département fédéral de l’économie, en demandant que soit maintenue l’obligation d’imposer les conventions collectives et le lieu d’exécution, comme il est prévu dans la LMP, qui est plus récente que la LMI. Il faut relever que, dans les négociations avec l’Union européenne (UE), ce n’est pas le meilleur signal que l’on peut envoyer. Le lieu d’exécution est du reste la règle de base du travail détaché au sein de l’UE.»