De Rambo à Rasmané
Boubacar Sangaré est parti de rien. Ou presque. «Je vivais dans un village, sans eau courante, ni électricité. Souvent, pendant les vacances, nous nous rendions dans la famille de mes parents au Mali. Avec des amis, on allait chez les voisins voir des films. Au Burkina, je partais vendre le poisson de ma mère dans un village voisin à 14 kilomètres. Je dormais sur place, et j’en profitais pour aller à la vidéothèque. Je voulais faire du cinéma, mais je n’avais comme référence que des films américains, d’action, les seuls à disposition.» Vers l’âge de 8 ans, il se souvient avoir menti à ses parents pour aller voir une projection organisée à trois kilomètres de chez lui, la nuit. «Avec mes camarades, nous sommes arrivés au milieu du film Rambo 2, quand il mange un ver de terre. Cette scène est restée gravée.»
Le jeune Boubacar, bon élève, rêve d’entrer à l’école de cinéma, mais les études sont trop chères. Il choisira donc la Faculté de droit à l’Université de Ouagadougou, la capitale, avant que ses parents ne réussissent à trouver les fonds pour lui permettre de mener les deux formations de front. Arrivé à Lyon en 2015, pour un master en droit du cinéma, il écrit aujourd’hui sa thèse de doctorat à Paris, tout en faisant de nombreux voyages au pays, pour filmer surtout.
Paradoxalement, son cinéma est à l’opposé d’un blockbuster américain. Boubacar Sangaré développe un point de vue porté par une esthétique forte. Dans Or de vie, la forme rejoint le fond au travers d’une lenteur bienvenue, relatant l’attente et la patience, qualité inhérente à l’orpailleur comme au caméraman. Le quotidien est raconté sans fard, sans misérabilisme ni recherche de spectaculaire.
«Techniquement, faire du cinéma en Afrique est certainement plus facile qu’il y a vingt ans, mais c’est relatif», souligne Boubacar Sangaré. Beaucoup de gens sans formation filment avec un appareil photo ou un téléphone et sont projetés deux semaines dans une salle à Ouaga. Quand on a des ambitions internationales, c’est autre chose. Il n’y a quasi pas de financement.» En septembre, il retournera au pays pour continuer le tournage de son prochain documentaire dont il a déjà le titre: Djéliya, mémoire du mandingue. Au cœur de son projet, deux griots – à la fois porteurs de la mémoire orale, musiciens, historiens, généalogistes, médiateurs –, un jeune et un vieux. Au travers de leur histoire, Boubacar Sangaré parcourt l’ancien empire mandingue comptant sept pays en Afrique de l’Ouest. «Une manière pour moi de parler de l’Afrique entre tradition et modernité.»
La révolution burkinabè
Dans un documentaire sorti en 2015, coréalisé avec Gidéon Vink, Une révolution africaine, Boubacar Sangaré retrace les dix jours qui ont précédé la chute de Blaise Compaoré, après 27 ans de règne. En octobre 2014, la volonté du président – arrivé au pouvoir après l’assassinat de feu Thomas Sankara – de se maintenir à la tête du pays en modifiant la Constitution met le feu aux poudres. Le peuple se soulève. Les mobilisations seront inédites au Pays des hommes intègres. «C’était un espoir absolu, un pur bonheur, suivi d’une grande déception… se remémore Boubacar Sangaré. La situation n’est allée qu’en empirant entre 2015 et 2020 avec un président élu démocratiquement. C’est pour cette raison qu’au moment du coup d’Etat (suivi d’autres), il n’y a pas eu de réaction du peuple…»
Sur le putsch récent au Niger, voisin de son pays, le Burkinabè souligne: «Nous ne sommes pas dépendants de ce pays, car il est aussi enclavé que nous. Mais la lutte contre le terrorisme, circulaire dans le Sahel, est impactée.» Le réalisateur souligne que le sentiment domine dans la population qu’un gouvernement avec une légitimité démocratique a tendance à faire ce qu’il veut. «Parfois les régimes d’exception, n’étant pas légitimes, font davantage pour le peuple. Au Burkina, depuis presque dix ans, nous avons reculé sur beaucoup de plans, celui de la démocratie, du social, de la sécurité avec les premières attaques djihadistes dès 2015. Mais nous avons aussi gagné, car la jeunesse est davantage concernée par la politique et est prête à s’exprimer, ce qui n’était pas le cas sous le régime Compaoré.» Et de conclure, sans jamais perdre espoir: «Je pense que l’évolution se fait en dents de scie.»