Le Réseau Transition Suisse romande regroupe et soutient plus d’une centaine d’initiatives écologiques et sociales. Entretien avec l’un de ses collaborateurs, Martin Gunn
La tournée du cofondateur anglais du mouvement des Villes en transition, Rob Hopkins, révélé par le documentaire Demain, est l’occasion pour le Réseau Transition Suisse romande de donner des pistes face aux préoccupations environnementales et sociétales actuelles. Une semaine d’ateliers, de conférences et de visites est prévue pour permettre aux citoyennes et aux citoyens, aux politiques et aux administrations de découvrir des initiatives locales, et d’expérimenter la vision positive portée par Rob Hopkins, notamment le pouvoir de l’imagination.
Le mouvement international des Villes en transition compte plus de 4000 initiatives dans une cinquantaine de pays. En 2019, une antenne a été créée en Suisse, forte aujourd’hui de plus d’une centaine de projets. L’occasion de donner la parole à Martin Gunn, l’un des collaborateurs du Réseau Transition Suisse romande, dont le parcours est un exemple de transition. «Quand je suis entré à l’EPFL, j’étais convaincu que les nouvelles technologies permettraient de sauver le monde», relate-t-il. Toutefois, au cours de ses études d’ingénieur, il réalise que la solution ne consiste pas à trouver d’autres sources d’énergie dites «renouvelables», mais plutôt à en réduire notre consommation. Il finira néanmoins ses études. Après deux ans de travail comme ingénieur en recherche et développement dans l’horlogerie, il part voyager à vélo, expérimente la permaculture en Espagne, se forme à la gouvernance partagée avec l’Instant Z et l’Université du Nous, et est engagé au Réseau Transition. Coursier à vélo à Bienne, c’est aussi un féru d’aviron de compétition. Entretien.
Quelle est la mission du Réseau Transition?
Notre raison d’être est d’inspirer, soutenir et accompagner la transition vers un monde juste, résilient et durable. Concrètement, nous proposons des formations pour soutenir le lancement d’initiatives écologiques et sociales, ainsi que des ateliers sur la gouvernance partagée et la transition intérieure... Nous organisons également des rassemblements et des conférences pour renforcer le partage des idées, le réseau, et rappeler à chacune et à chacun que nous ne sommes pas seuls à agir. Depuis 2019, en Suisse romande, le nombre d’initiatives ne cesse de croître.
Rob Hopkins, en tournée du 29 août au 7 septembre, met l’accent sur l’imagination au pouvoir. Pouvez-vous nous expliquer le sens de l’imaginaire dans la transition?
On parle très peu de la force de l’imagination, et c’est bien dommage. On baigne dans le récit dominant, politique, médiatique et industriel du capitalisme néolibéral, pourtant à la source de la catastrophe écologique et sociale qui nous mène actuellement dans le mur. En se reconnectant à ses rêves, à son imaginaire, on ouvre le champ des possibles. Ce n’est pas du tout naïf. Une (autre) utopie existe en chacun de nous. Des exercices de visualisation permettent de nous reconnecter à ce futur désirable, à cet avenir porteur de rêves. A chacun et à chacune, bien sûr, de se réapproprier son propre désir. Nous n’imposons aucune vision. Reste que les images décrites par les participants sont souvent celles d’enfants courant dans un quartier sans voitures, davantage d’arbres et de calme, des parfums de fleurs, un air pur… Personne n’évoque d’iPhone 26 ou de voiture volante. Personne n’a comme rêve de voir des enfants trimer dans des mines de cobalt en Afrique, des forêts brûler, une guerre en Ukraine... Même si nous baignons dans la société de consommation, même si nous sommes pollués par la publicité, quand on creuse en l’humain, c’est là que réside l’espoir. D’où la foi en la bonté humaine de Rob Hopkins qui a le grand talent de réveiller cet imaginaire.
Votre discours n’est-il pas trop optimiste?
C’est le but. Quand on parle écologie, la notion de privation est très présente. Moins d’avions, moins de viande, moins de chauffage. Bref, on nous dit tout ce qu’on ne peut plus faire. Mais si on mobilise l’imaginaire vers le «oui», la motivation grandit pour agir. Il est difficile de s’engager pour des sacrifices ou une ascèse. Par contre, si on vous parle d’un monde durable et résilient où les forêts sont foisonnantes, les peuples en paix, l’eau dans les ruisseaux claire, la nourriture saine, les fêtes et les célébrations nombreuses, etc., on rejoint l’idée d’abondance, sous forme de richesse immatérielle.
Vous prônez le changement au niveau local. Or, nous vivons sur une même planète…
A l’échelle d’un quartier, d’une entreprise ou d’une ville, on peut changer beaucoup. C’est plus difficile à l’échelle du monde. Il n’y a pas de recette universelle pour mettre fin au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Chaque lieu, chaque région a ses contraintes et ses besoins, ainsi que sa propre culture. Il s’agit de donner le pouvoir aux gens de changer leur environnement proche. La transformation n’est pas seulement écologique, mais aussi sociale. C’est notre capacité à évoluer en société qui crée notre résilience. Comment «être ensemble» et «faire ensemble» sont deux pans importants de la culture de la Transition. Etre ensemble autrement implique une transition individuelle et collective, personnelle, sociale, spirituelle, une culture de la paix, de la gouvernance partagée, de la communication non violente… Faire ensemble se traduit par l’émergence de jardins permacoles communautaires, de monnaies locales, de troc... Autant de petits projets qui s’inscrivent dans le respect des limites planétaires et humaines. La résilience vient de la diversité et donc de la multiplicité des actions. La guerre en Ukraine – et les pénuries en gaz et en céréales qui en découlent – nous montre à quel point notre société globalisée est fragile.
Ne fait-on pas trop peser la transition sur l’individu, et pas assez sur les politiques et le monde économique et financier?
La place financière suisse pollue vingt fois plus que ce qu’émet le pays. Cela doit changer, mais rien n’empêche d’agir chacun à son échelle. Notre action, aussi petite soit-elle, à la hauteur de nos moyens, a un sens, parce que beaucoup d’autres agissent aussi. Si on n’a pas les moyens d’acheter bio, il y a mille autres manières de faire sa part. A chacun de faire ce qu’il peut pour participer à cet effort commun et solidaire. La Transition c’est ça. Une petite initiative isolée ne fait pas changer le monde à elle toute seule, mais comme elles sont des milliers, cela fait la différence.
Plus largement, quelles solutions préconisez-vous?
Les solutions ne sont pas techniques, mais politiques. Ces dernières années, si les énergies renouvelables se sont développées, elles n’ont fait que s’additionner aux énergies fossiles et nucléaires, alors qu’elles devraient les remplacer. La croissance économique est encore un objectif dans les mesures de développement durable préconisées par l’ONU et dans les Accords de Paris. On n’a donc pas changé de paradigme. Le capitalisme se défend. Or, la décroissance est nécessaire. Personnellement, je serais pour imposer des quotas de CO2.