Une victoire pour la liberté d’expression
Les militants qui avaient relayé une lettre appelant à la grève militaire ont été acquittés par le Tribunal pénal fédéral. Une bonne nouvelle, si ce n’est que de telles procédures judiciaires pèsent sur les mouvements sociaux
Ce n’est pas souvent que des militants climatiques vaudois sont complètement blanchis par la justice. De surcroît, à l’aune de la saga procédurale menée depuis trois ans. «Nous sommes très satisfaits de la décision du Tribunal pénal fédéral qui a reconnu la liberté d’expression garantie par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et a donc appliqué le droit», explique Me Nathanaël Pétermann, l’un des trois avocats des prévenus. «Ce qui est surprenant, c’est l’enquête tentaculaire qui a été menée par le Ministère public de la Confédération.»
Pour mémoire, le 11 mai 2020, la Grève du climat Vaud appelle à faire grève militaire, «par éthique, morale, responsabilité écologique et sociale». La lettre ouverte fait peu de bruit jusqu’à ce que le conseiller national UDC Jean-Luc Addor porte le débat au niveau parlementaire, puis dénonce le cas au Ministère public de la Confédération (MPC). Le procureur (et colonel) Marco Renna mène l’enquête. Le 26 mai 2021, soit une année après la mise en ligne de la lettre ouverte, il ordonne des perquisitions chez trois militants vaudois de la Grève du climat, réveillés aux aurores par des agents des polices fédérales et cantonales. Interrogatoires, saisies d’appareils informatiques, le choc est grand chez les activistes pacifistes. En décembre 2022, ils écopent d’une ordonnance pénale les punissant d’une amende et de 50 jours-amende avec sursis pour provocation et incitation à la violation des devoirs militaires (selon l’article 276 du Code pénal). Les trois jeunes vaudois font recours. Le procès se tient le 5 mai dernier à Bellinzone. Leurs avocats défendent alors d’une seule voix la liberté d’expression et dénoncent les moyens disproportionnés mis en œuvre par le MPC. Le 27 juillet, les trois militants sont acquittés. Reste la possibilité pour le MPC de demander la motivation écrite du jugement jusqu’à lundi 7 août à minuit (au moment de l’impression de ce journal), avant de déposer un éventuel appel.
Des effets dissuasifs
«Quoi qu’il arrive, ce verdict donne un signal positif. Les trois militants sont soulagés et contents. C’est un poids en moins…» explique Me Nathanaël Pétermann, qui regrette toutefois que les indemnisations demandées en vertu des désagréments liés à la procédure n’aient pas été retenues.
Plus largement, ce procès, comme tant d’autres, ont des effets délétères sur les mobilisations citoyennes et donc sur la démocratie. Avant le procès à Bellinzone en mai dernier, la Grève du climat et le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) soulignaient: «Par les très lourdes démarches entreprises en réaction à une simple lettre ouverte, en particulier les perquisitions disproportionnées qui ont été menées, cette procédure pénale a eu un effet dissuasif à l’encontre de tous les membres de la Grève du climat pour des voies d'expression pourtant protégées en tant que droits fondamentaux.»
A la suite de l’acquittement, le GSsA a rappelé que «ces poursuites disproportionnées s’inscrivent très clairement dans un contexte plus général de restrictions des droits politiques et notamment de la liberté d’expression en Suisse». Il met en lumière le chilling effect (littéralement «effet refroidissant»), «qui vise à dissuader toute action contestataire via la menace de procédures judiciaires lourdes menant souvent à des peines excessives».
C’est ce que démontre également un rapport intitulé Désobéissance civile et procès climatiques en Suisse – quels combats se jouent devant les tribunaux suisses? écrit par des spécialistes des Universités de Berne et de Lausanne, avec le soutien du Fonds national suisse. Ceux-ci ont analysé quelque 150 procédures judiciaires contre des militants pacifiques pour le climat. Ils concluent notamment: «Le risque d'être déclaré coupable d’une infraction en cas de participation à une action de protestation pacifique contribue à alimenter un chilling effect et à dissuader les gens de participer activement à des mobilisations. Les mesures policières en particulier, telles que la fouille corporelle ou l'arrestation provisoire, et le recours aux ordonnances pénales affectent également les choix de mode d’action des activistes. Ces mesures de surveillance et de répression de l'Etat limitent les droits fondamentaux tels que la liberté de réunion et d'expression de manière excessive. Cette problématique ne se limite d'ailleurs pas au mouvement climatique. Elle concerne de manière tout à fait similaire de nombreux autres mouvements sociaux.»