Unis pour diminuer le temps de travail!
«A bas les journées de 14, 16 ou 18 heures de travail!» On ne rêve pas. Ces journées harassantes étaient en cours dans la Suisse de la fin du XIXe siècle. Ce slogan était inscrit sur une pancarte brandie lors du 1er Mai 1890 à Zurich. Sur le ruban de soie rouge porté par les travailleuses et les travailleurs défilant sur les bords de la Limmat, une autre revendication: «8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de sommeil.» C’était celle des ouvriers de tous les pays qui manifestaient pour la première fois ce jour-là partout en Europe et outre-Atlantique, à l’occasion de la journée internationale des travailleurs. Cette dernière avait été proclamée un an plus tôt par le congrès socialiste international réuni à Paris et la date du 1er Mai choisie en hommage aux ouvriers tués en 1886 lors du massacre de Haymarket à Chicago, survenu après une gigantesque grève pour la journée de 8 heures.
Il y a 132 ans, l’exploitation du travail était extrême en Suisse comme partout ailleurs dans les pays où le capitalisme était en plein essor. C’est par la lutte ouvrière inlassable, par les grèves, les mobilisations que les journées de travail ont été raccourcies, que les semaines de labeur sont passées de sept, à six puis cinq jours. Que les congés payés ont été arrachés aux employeurs. Ces acquis sont le fruit de rapports de force entre des intérêts divergents. En Suisse, la semaine de 48 heures, sur six jours, était l’une des neuf revendications de la grève générale de 1918. Elle a été instaurée l’année suivante dans les fabriques du pays.
Samedi prochain, 9 avril, la Grève pour l’avenir, regroupant les jeunes de la Grève pour le climat, des syndicats, dont Unia, des collectifs féministes, appelle à manifester pour exiger une forte réduction du temps de travail sans perte de salaire. «Si nous travaillions massivement moins, nous gagnerions du temps: du temps pour être ensemble, du temps pour la planète, du temps pour s’organiser, du temps pour des activités épanouissantes et qui ont un sens. La surproduction insensée serait stoppée, et l’économie s’orienterait vers le respect de nos besoins réels et des limites planétaires», explique l’appel de la Grève pour l’avenir. Des vœux que l’on ne peut que partager à l’heure où l’intensification du travail, la non-reconnaissance des salariés, la flexibilisation, apportent leur lot de détresse psychologique, d’épuisement et d’atteinte à la santé physique des salariées et des salariés. A l’heure aussi où le Conseil fédéral et le Parlement veulent faire travailler les femmes une année de plus après une vie marquée de double labeur, entre emploi et soins aux enfants et aux proches.
La diminution du temps de travail est un enjeu crucial. Comme le disent les militants de la Grève pour l’avenir, elle permettrait non seulement de disposer de plus de temps libre, mais également de mieux répartir les tâches domestiques entre hommes et femmes et de réduire notre impact sur l’environnement. Reste que tout est à conquérir. D’abord en précisant les revendications: semaine de quatre jours? 32 heures? 28 heures? Et surtout en cherchant les moyens de les imposer, dans les entreprises ou sur le plan législatif. Pour cela, il ne suffit pas de parler de «grève». La grève est un rapport de force, un arrêt du travail productif permettant, si l’employeur refuse le dialogue ou n’abonde pas dans le sens des exigences ouvrières, de faire aboutir des revendications.
Pour y parvenir, il est plus que jamais nécessaire de resserrer les rangs sous les drapeaux syndicaux et de lutter ensemble, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, comme ce millier de personnes qui défilaient sur les bords de la Limmat il y a 132 ans, unies pour la journée de 8 heures.