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Zarbi, l’époque…

Nous vivons une époque singulière. Dans laquelle un économiste réputé de gauche veut faire des dons publics aux entreprises en difficulté, alors qu’un dirigeant patronal de droite recommande de contrôler d’abord les ressources financières desdites entreprises…

Nous vivons une drôle d’époque. Dans laquelle un président des Etats-Unis, au sommet de son incompétence, demande que le remède ne soit pas pire que le problème et que l’on relance l’économie au plus tôt. Alors qu’il n’y a justement pas de remède, tout au plus des précautions. Mais la formule a fait florès. Pas de remède pire que le mal. Un masque pour tout le monde et au boulot. Le travail, c’est la santé. La santé de l’économie. Et quand l’économie est en bonne santé, tout le monde est en bonne santé! Non? Ah bon, vous me décevez beaucoup, vous savez…

A la Manip (Mission d’action novatrice de l’industrie privée) aussi, l’époque était bizarre. Zarbi, même. Bien sûr, nombre d’experts autoproclamés, à l’expertise moins évidente que leurs liens d’intérêts, avaient fait pression. Pas de remède pire que le mal, relançons l’économie tout de suite, sinon la poule aux œufs d’or ira pondre ailleurs. Refrain repris à pleins poumons et sans masque cette fois par Magdalena Falce e Martello, ou quelque chose d’approchant. «Pas de remède pire que le mal», ça leur avait bien plu à Ruedi Saurer et Guido Fifrelin. C’était concret et frappé au coin du bon sens. Même si celui qui avait frappé s’était un peu tapé sur les doigts. Pour cause d’absence de remède. Du coup, comment décider le moment où le remède, absent, devient pire que le mal, bien présent, lui, hein, je vous le demande? Laissons de côté cet aspect pour ainsi dire métaphysique et observons comment nos deux compères opèrent (à relire à voix haute en semi-confinement). Ils vont d’abord chercher une aide à la décision.

Par exemple, du côté de l’optimum de Pareto. Mais non, partez pas, vous êtes confiné, vous avez le temps d’apprendre quelque chose de plus pour briller dans les nombreux cocktails où vous allez. Pareto, donc. Vilfredo de son prénom, marquis de son état et professeur d’économie politique à l’Université de Lausanne au début du siècle passé. Pas vraiment fâché avec les fascistes de Benito Mussolini, qui deviendra lui-même durant quelques décennies docteur honoris causa de l’Université de Lausanne. Il avait suivi quelques cours de Pareto…

Non, non, pas de théorie du complot, je vous en prie, il y en a déjà assez à propos du Covid-19. C’est bien à cause de son immense apport intellectuel aux sciences humaines que le Duce a ainsi été honoré en 1937.

Mais revenons à nos moutons optimisés par Pareto. Son optimum, c’est lorsqu’il n’est plus possible d’améliorer la situation d’un côté sans la détériorer de l’autre. Du reste, lui ne l’appelait pas optimum, mais «ophélimité». C’est chiadé, hein? Non, ça n’a rien à voir avec Ophélie Winter. Mais bien avec un prénom grec qui signifie «celle qui est utile», «celle qui sauve» ou encore… «remède». Et nous y revoilà. Donc comment qu’on calcule le moment M où +1 d’un côté entraîne nécessairement -1 de l’autre et où l’optimum se barre et que le remède devient pire que le mal? C’était la question que Ruedi Saurer et Guido Fifrelin tentaient de résoudre. Voyons voir… trouvons quelque chose d’irréfutable sur quoi nous baser… Par exemple, du côté des effets du «remède», la baisse de la courbe des décès dus au Covid-19. Voilà, on a déjà une courbe, on progresse. De l’autre, du côté du mal, voyons, voyons, les dégâts économiques. Alors, là, c’est la bouteille à l’encre. Le nombre de faillites? L’augmentation du chômage? Le coût des aides fédérales? Hou, là, c’est compliqué son optimum au Vilfredo. Bon, tant pis, on fait un mélange de tout ça, on l’appelle indice mixte, et l’on trace une belle courbe. Et paf! là où les deux courbes se croisent, hop! on a l’Ophélie machin, l’ophélimité. Au-dessus de ce point, l’effort pour éviter un décès supplémentaire entraîne nécessairement des dégâts économiques additionnels trop élevés; en dessous, la courbe des décès risque de ne pas décroître assez prolongeant d’autant le remède qui fait mal.

Alors Ruedi et Guido étaient ravis. Optimum atteint. Formidable. Ce n’est que lorsque le beau dessin du croisement des courbes fut agrémenté d’une symbolique illustrative par l’infographiste de la Manip que les choses se gâtèrent: d’un côté, les cercueils empilés des victimes et, de l’autre, les piles de pièces d’or des coûts. Moche, la comparaison. Celui qui avait inventé le proverbe «plaie d’argent n’est pas mortelle» méconnaissait visiblement les méthodes de calcul moderne du capitalisme avancé. Très avancé, même. Y a comme une odeur de pourriture dans l’air, vous ne trouvez pas?