Portrait du plus grand syndicat allemand à l’occasion d’un atelier de l’industrie d’Unia organisé en février dernier au siège d’IG Metall à Francfort
«Une forte communauté», «le plus indépendant du monde»… Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire le «puissant syndicat allemand» IG Metall. Ce dernier a accueilli, du 8 au 9 février dernier dans son siège de Francfort-sur-le-Main, un atelier du secteur industrie d’Unia, donnant ainsi l’occasion de découvrir cette grande organisation.
Fondé en 1949, ce syndicat professionnel représentait à l’origine les ouvriers de l’industrie métallurgique. Aujourd’hui, avec ses 2,1 millions de membres, IG Metall a conservé ce domaine d’intervention et l’a largement développé: au-delà de la métallurgie, il est actif dans les secteurs de l’électronique, du fer, de l’acier, du textile, du bois et du plastique, de l’artisanat et des services, ainsi que dans les technologies de l’information et de la communication. Petit à petit, IG Metall a renforcé sa communauté de membres provenant de plus de 18000 entreprises, dans plus de trente secteurs différents. Le syndicat compte plus de 2500 collaborateurs à plein temps.
IG Metall évolue aux côtés de sept autres syndicats – dont le deuxième plus grand, Ver.di (plus de 1,8 million de membres) – qui appartiennent tous à la Confédération allemande des syndicats (DGB). Si IG Metall est numéro un en Allemagne aujourd’hui, il a pourtant subi une importante érosion de ses membres en 2020. Une année marquée par le Covid, par une restriction de contacts et d’importantes pertes d’emplois. A partir de 2023, la situation s’améliore. La tendance actuelle est plutôt à la hausse des effectifs dans toutes les régions.
Succès syndicaux
Il faut dire qu’IG Metall a beaucoup grossi ses rangs à la suite de succès syndicaux. A ce sujet, 2018 a été l’étape la plus marquante avec la lutte fructueuse des négociations collectives menées dans l’industrie métallurgique et électrique en matière de temps de travail et d’augmentations salariales. Dans le palmarès du syndicat, on peut aussi citer l’augmentation du droit aux congés annuels payés, la rémunération en cas de maladie, le droit à l’embauche pour les apprentis, ainsi que la réduction du temps de travail hebdomadaire. Cette dernière thématique fait d’ailleurs partie des revendications historiques d’IG Metall. Dans les années 1980, le syndicat avait mené une importante campagne dans le cadre de la revendication pour une semaine de 35 heures. «Pas une minute en dessous de 40 heures», avaient rétorqué les employeurs à l’époque. Après sept semaines de grève, les patrons avaient fini par céder. Aujourd’hui, c’est la semaine de 32 heures qui figure au menu des principales revendications du syndicat, tout comme la compensation de l’inflation.
Objectifs pour l’avenir
Dans le cadre de son programme de travail pour 2024-2027, IG Metall s’est fixé plusieurs objectifs. Parmi eux, le syndicat veut accompagner la transformation des sociétés industrielles, favoriser l’Etat social, mais aussi améliorer la coopération internationale et continuer à renforcer l’organisation.
Les secteurs défendus par IG Metall sont confrontés au défi central de la mutation des sociétés industrielles. D’après un employé d’IG Metall, celles-ci «sont poussées à se transformer sous l’impact de quatre moteurs que sont la décarbonisation, la numérisation, la démographie et la mondialisation». L’un des objectifs d’IG Metall est donc d’organiser cette évolution de manière sociale et équitable. Pour prendre l’exemple de l’industrie automobile, qui concerne 800000 personnes en Allemagne, IG Metall souhaite contribuer au façonnement de la mobilité électrique. Pour le syndicat, accompagner cette transition signifie non seulement limiter les licenciements, mais aussi, quand cela n’est pas possible, offrir des possibilités de reconversions professionnelles.
Autre exemple: l’industrie des puces et des semi-conducteurs. C’est une industrie précieuse que l’Allemagne souhaite conserver. Le prix de l’électricité pousse cependant certaines entreprises à délocaliser leur production. IG Metall a alors demandé des investissements au gouvernement allemand afin d’aider l’industrie en question à soutenir ce savoir-faire et les emplois qui en dépendent.
IG Metall souhaite préparer au mieux la relève et continuer à développer l’Etat social. Pour cela, il s’est fixé comme objectif d’améliorer les possibilités de formation, de diminuer les emplois précaires et de continuer à augmenter la couverture des conventions collectives dans le pays, jusqu’à ce que 80% du personnel soit assujetti à une CCT. IG Metall a également décidé d’octroyer plus de moyens aux bureaux syndicaux locaux et s’engage massivement sur le terrain dans les alliances avec la société civile.
Liens au-delà des frontières
La lutte syndicale allemande rencontre toutefois des obstacles lorsque les entreprises sont internationales. C’est pourquoi IG Metall tisse des liens en dehors des frontières germaniques, et notamment avec Unia. Interrogée à ce sujet, Marlène Roth, une employée d’IG Metall travaillant dans le secteur de la politique syndicale transnationale, répond: «Avec Unia, nous avons un fort partenariat dans les entreprises de l'industrie suisse. Nous nous soutenons mutuellement dans la mise en réseau des représentants des travailleurs dans les entreprises et dans la collaboration des responsables syndicaux qui s'occupent des entreprises multinationales. Par exemple, nous travaillons ensemble avec Unia et les syndicats en Pologne, pour mettre en place un comité d'entreprise européen chez Stadler.»
Yves Defferrard, membre du comité directeur d’Unia, rappelle à ce propos que la question internationale est très importante: «Nous avons affaire à des multinationales, à des directions réparties dans le monde, donc on ne peut pas se contenter d’avoir une vision uniquement suisse.» Pour le responsable du secteur industrie d’Unia, IG Metall est le symbole d’une maison syndicale combative: «Le grand rêve, cela serait d’avoir la même capacité de mobilisation qu’en Allemagne, de pouvoir mener encore plus d’actions sur le terrain et d’avoir le même rapport de force dans les entreprises.»
De manière générale, IG Metall continuera à renforcer l’organisation. Ce travail de développement systématique fait partie de son ADN. Cette approche sera poursuivie par la nouvelle présidente, Christiane Benner (voir ci-dessous), qui incarne les orientations futures souhaitées par le syndicat.
«Pour une industrie verte et numérique forte, avec de bons emplois»
Christiane Benner est la première femme présidente du puissant syndicat IG Metall
A la tête du plus grand syndicat allemand depuis octobre 2023, Christiane Benner a été élue avec 96,4% des voix. Première femme présidente depuis la création d’IG Metall, elle a d’abord été membre du syndicat, puis a été engagée en tant que secrétaire syndicale en 1997, pour ensuite gravir les échelons les uns après les autres. Aujourd’hui, elle s’engage avec enthousiasme pour l’avenir du syndicat. Elle souhaite «un IG Metall pour tous», avec une industrie forte, écologique, numérique, mais surtout qui offre des emplois sûrs et durables. La nomination d’une présidente constitue une rupture majeure dans l’histoire d’une organisation encore très masculine et fortement implantée dans l’industrie automobile. Parmi les défis qui l’attendent: approfondir l’implantation d’IG Metall dans les PME, mais aussi continuer d’étendre les conventions collectives.
Questions à Christiane Benner, en marge de l’atelier du secteur industrie d’Unia qui s’est déroulé à IG Metall à Francfort.
Pourriez-vous vous décrire en quelques mots?
Je m'appelle Christiane Benner, j'ai 56 ans et je suis la première présidente d'IG Metall.
Dans mon travail, ce qui me paraît le plus important c’est de mettre l'accent sur une industrie forte et durable, avec de bons emplois et une plus grande participation des employés aux décisions de l’entreprise. Dans ma vie privée, j'aime voyager, j'adore la musique et je fais beaucoup de sport.
Quel a été votre parcours syndical?
J'ai adhéré à IG Metall au début de ma formation dans une entreprise de l’industrie des machines, Carl Schenck AG, où j’ai travaillé en tant que correspondante en langues étrangères. J’ai rapidement été élue représentante des jeunes et des apprentis, puis membre du comité d'entreprise. J'ai toujours été étroitement liée à IG Metall et j’ai bénéficié d'une grande solidarité et d'un grand soutien de la part du syndicat quand il a été question de suppressions de postes dans l’entreprise dans laquelle j’étais.
Après mes études de sociologie en Allemagne et aux Etats-Unis, mon chemin m'a ramenée à IG Metall en 1997, où j'ai surtout travaillé sur des thématiques liées à l'informatique dans le cadre du travail des jeunes. Par la suite, j’ai conservé cet axe prioritaire, par exemple, lorsque j'ai négocié des conventions collectives pour les salariés de l'informatique.
En 2008, je suis devenue responsable de secteur au comité directeur d'IG Metall; en 2011 membre exécutif du comité directeur, puis, en 2015, vice-présidente du syndicat. Depuis octobre 2023, je suis la première présidente d’IG Metall, élue avec 96,4% des voix et j'en suis très heureuse.
Avez-vous des succès syndicaux à nous raconter?
Bien sûr! Par exemple, en tant que secrétaire syndicale, j'ai négocié avec succès des conventions. En tant que responsable de secteur, j'ai ramené des entreprises dans le giron des conventions collectives. Puis, au sein du comité directeur, j'ai construit le travail avec les groupes cibles, c'est-à-dire qu’à IG Metall, j’ai mis l'accent sur les jeunes, les femmes et les personnes issues de l'immigration.
Je me suis occupée de manière approfondie du thème de la numérisation et j'ai pu ainsi gagner de nouveaux travailleurs et membres. Cela nous donne un grand avantage maintenant que les thèmes du numérique et de l'intelligence artificielle jouent un rôle si important. Nous avons été à l'avant-garde dans ce domaine.
Vous êtes la première femme présidente d’IG Metall, au sein d’un syndicat composé à 80% d’hommes. Comment avez-vous fait pour vous frayer un chemin dans cet environnement majoritairement masculin?
J'ai dit un jour dans une précédente interview: «Je suis une femme, je fais mon travail. C'est aussi simple que ça.» C'est toujours vrai.
En même temps, je garde bien sûr à l'esprit que nous continuons à bien remplir les quotas de femmes au sein d'IG Metall, que nous veillons dans notre promotion de la relève à ce qu'il y ait des réseaux de femmes et que le thème soit porté haut dans l'entreprise. C'est très important pour moi!
Quelles sont vos priorités pour le futur en tant que présidente d’IG Metall?
Je veux conduire IG Metall vers l'avenir de manière sûre et optimiste. Ce doit être un IG Metall pour tous, un IG Metall international qui vit la diversité. Je veux une industrie verte et numérique forte, avec de bons emplois liés à des conventions collectives, qui offre aux salariés la sécurité et des perspectives d’avenir. Cela nécessite de gros investissements tant privés que publics, et nous continuerons à faire pression pour les obtenir. En tant qu'IG Metall, nous nous engageons pour garantir de la sécurité dans le changement, et je veux continuer à maintenir fortement cette position.