Hôpital de la Providence: plainte déposée contre la Suisse
Les ex-grévistes neuchâtelois abusivement licenciés ont remis une plainte à l'OIT à Genève au terme d'une journée d'action
Pour les anciens grévistes de l'hôpital de la Providence abusivement licenciés, le combat est encore loin d'être terminé. Le mercredi 10 avril, certains d'entre eux, accompagnés du Syndicat des services publics (SSP) et de Syna mais aussi de sympathisants, soit une vingtaine de personnes, ont participé à une journée d'action de Neuchâtel à Genève, en passant par Lausanne. Baptisée «22 grévistes licenciés parce qu'ils voulaient défendre leur CCT? Oui, en Suisse ça se fait», la journée a débuté avec une action devant le Grand Conseil neuchâtelois pour interpeller les députés.
Les manifestants se sont ensuite rendus en car au CHUV à Lausanne puis aux HUG à Genève pour rencontrer le personnel des hôpitaux et distribuer des tracts. Aux HUG, des anciens grévistes du laboratoire, du nettoyage et des transporteurs sont venus brièvement apporter leur soutien aux Neuchâtelois, travail oblige... «Licencier des grévistes est illégal, lance un technicien de laboratoire, qui a pris une pause éclair. Les acquis et les droits fondamentaux pour lesquels nos aïeux se sont battus sont totalement remis en question!» Solidaire, le personnel genevois a salué le courage de leurs homologues neuchâtelois. «Nous soutiendrons votre lutte jusqu'à la fin, s'est exprimé David Andenmatten, président du SSP pour la région de Genève et délégué syndical aux HUG. Il y a une dégradation constante des conditions de travail partout en Suisse et nous devons lutter ensemble.»
Plainte à l'OIT
En fin d'après-midi, temps fort de la journée, la délégation s'est rendue à l'Organisation internationale du travail (OIT) pour déposer une plainte contre la Confédération pour violation des droits syndicaux. «La Suisse a ratifié les huit conventions fondamentales de l'OIT sur la liberté et les droits syndicaux, notamment la 87 et la 98, mais elle ne les respecte pas, s'indigne Yves Mugny, secrétaire central du SSP. Le droit suisse doit prévoir la possibilité de faire annuler les licenciements pour activité syndicale ainsi que la réintégration des personnes abusivement licenciées. Or à l'heure actuelle, tout ce que l'employé remercié peut espérer est une indemnité de salaire. C'est inadmissible.» Après un rappel détaillé du conflit de la Providence, la plainte accuse les autorités suisses de violation de la liberté syndicale à double titre: en procédant à l'évacuation du piquet de grève et en n'assurant pas un régime juridique de protection suffisant pour permettre aux salariés d'exercer de manière effective leur droit de faire grève sans risquer de se faire licencier. «La présente plainte vise donc à conduire la Suisse à modifier sa législation afin qu'elle soit en mesure d'assurer le respect du droit de grève, en droit comme en fait», demande le texte. Et d'ajouter: «Le plaignant ne met pas en cause la législation suisse en ce qu'elle consacre le droit de grève dans sa charte fondamentale. Il fait en revanche grief à la Suisse de ne pas garantir, par un régime juridique adéquat, l'effectivité de ce droit.» Le SSP rappelle qu'en signant les conventions 87 et 98, les Etats s'engagent à prendre des mesures destinées à interdire aux employeurs de licencier un travailleur qui participerait à une grève licite et, si c'est le cas, à permettre d'imposer à cet employeur la réintégration du salarié concerné. «Le comité ne pourra que constater que la Suisse ne répond pas à ces obligations.»
Examen rapide
La plainte du SSP sera soumise dans un premier temps à la Confédération qui devra formuler ses observations. Elle sera ensuite examinée par le Comité de la liberté syndicale, un organe tripartite qui réunit les représentants syndicaux, patronaux et l'Etat. Le rapport final sera ensuite adressé au SSP. D'après Alberto Odero, coordinateur du Département des normes internationales du travail de l'OIT, si le gouvernement donne une réponse avant septembre, le comité pourrait examiner la plainte en novembre 2013. Le cas échéant, la plainte sera traitée au plus tard en mai 2014. «Si le comité constate que les obligations n'ont pas été observées, il adressera ses recommandations au gouvernement suisse.» La Suisse sera-t-elle obligée de les appliquer? «Nous n'avons pas de mécanisme d'exécution forcé mais en tant qu'autorité mondiale la plus importante dans le domaine du travail, l'OIT a force morale», conclut Alberto Odero.
En attendant, en marge de la 102e Conférence internationale du travail de l'OIT, les syndicats appellent à une grande manifestation à Genève le 1er juin pour le respect des droits syndicaux.
Manon Todesco
Besoin que justice soit faite
«Cette plainte est extrêmement symbolique, s'exprime Sarah, assistante en soins licenciée par l'hôpital de la Providence. C'est l'espoir de faire avancer les choses en permettant à d'autres personnes de pouvoir faire grève en toute liberté, sans les risques et les conséquences que nous avons subis.» Il y a aussi une nécessité que justice soit faite. «J'ai besoin que mon employeur soit sanctionné pour ce qu'il a fait et que le tort des politiques soit reconnu», confie Sabine, assistante sociale remerciée après 11 ans de service.
Cette semaine, les 22 ex-grévistes sont convoqués par le Tribunal des prud'hommes pour une première tentative de conciliation. A noter qu'au total, une petite dizaine d'entre eux ont retrouvé du travail, souvent précaire...
MT