Flor Calfunao Paillalef vit à Genève depuis 22 ans. Elle est ambassadrice à l’ONU pour le peuple amérindien Mapuche
Avant de voir Flor Calfunao Paillalef, on l’entend. Le cliquetis des bijoux de son costume traditionnel rythme ses pas. Chaque partie de son vêtement fait figure d’étendard dans la Genève internationale pour défendre les droits des Mapuches, persécutés et massacrés depuis la colonisation et l’annexion de leur territoire par le Chili et l’Argentine. Son prénom, «fleur» en français, évoque la nature qu’elle porte en elle. Comme en écho à son peuple, les Mapuches, «les gens de la terre» littéralement.
Ambassadrice de ce peuple amérindien à l’Organisation des Nations Unies (ONU) depuis 2011, Flor Calfunao Paillalef est arrivée en Suisse en 1996 déjà, mais n’a toujours pas de papiers. «Les autorités veulent me fatiguer et me rendre folle, mais c’est moi qui vais les fatiguer», relève la militante de toujours en souriant. «Je suis venue à Genève pour l’ONU», raconte celle qui s’est occupée d’enfants à son arrivée, au noir, comme tant d’autres latino-américaines. Et qui demande: «A quoi ça sert de m’interdire de travailler, alors que je pourrais être tout à fait autonome?» Une situation paradoxale pour celle qui passe la moitié de la semaine dans l’antre des Nations Unies et qui, en 2008, recevait le prix «Femme exilée, femme engagée» de la Ville de Genève.
Une mission
Les souvenirs de sa militance remontent à sa toute petite enfance. «A l’âge de 2 ans, je savais déjà que je voulais changer les choses. Je crois que je suis née avec cette mission.» Flor Calfunao Paillalef se souvient des soirs où ses parents allaient défendre leur territoire. «Ils me faisaient m’endormir dans la cabane des chiens, car ils craignaient que notre maison ne soit brûlée en leur absence.» Elle relate aussi les insultes essuyées au quotidien – «sales Indiens, alcooliques, barbares, sauvages…» – et raconte avoir appris l’espagnol à coups de bâton et d’évangélisation. «J’ai quitté l’école très jeune. Je ne supportais pas.»
«Aujourd’hui encore, on a de bons voisins, dit-elle ironiquement. Des membres de la famille Pinochet, un ancien candidat à la présidentielle… Petit à petit, ils grignotent notre terre.» Une terre riche, car les Amérindiens ont su la préserver. «Partout où passe les colons, c’est la désolation», dénonce Flor Calfunao Paillalef. Des forêts riches en biodiversité ont été ainsi rasées pour laisser place à des monocultures de sapins et d’eucalyptus avides en eau. Et des multinationales friandes en matières premières se sont installées. «Le Chili vend les ressources naturelles, l’eau est privatisée et polluée», dénonce la militante mapuche, dont le concept de territoire est radicalement opposé. «Nous appartenons à la terre comme la terre nous appartient. C’est pourquoi nous nous battons pour la restitution de notre territoire ancestral.»
Une longue histoire
A Genève, son statut d’observatrice à l’ONU lui a permis la recherche d’informations sur l’histoire juridique des Mapuches et l’existence de traités encore en vigueur. «En 1641, un traité signé avec les colonisateurs espagnols promulguait l’indépendance du peuple mapuche.» Au début du XIXe siècle, les Gouvernements chilien et argentin déclaraient à leur tour leur indépendance de l’Espagne. «A ce moment, il y a eu une guerre d’extermination contre les Mapuches. Le Gouvernement chilien a donné aux colons européens – notamment les Français, les Allemands et les Suisses – nos meilleures terres, et nous a déportés sur les terres les moins fertiles où certains mourraient de faim. C’est depuis ce moment que les Mapuches n’ont cessé de se battre. Jusqu’à aujourd’hui, nous sommes réprimés, pillés, emprisonnés, discriminés, stigmatisés, massacrés. Les moyens ont changé, mais le but est le même: prendre le territoire des Mapuches.» Pour Flor Calfunao Paillalef, le respect du pacte de Quilin de 1641 ou encore du traité de 1825 – dans lequel le Chili reconnaît les frontières du pacte – pourrait faire avancer la situation.
Si elle rêve de retourner dans son pays, elle sent que sa mission est ici. «Je viens d’une famille qui connaît l’emprisonnement, la disparition, la mort… Les Gouvernements se succèdent, mais rien ne change pour nous. La loi antiterroriste qui date des années Pinochet est encore appliquée aux Mapuches et à ceux qui les soutiennent. La torture existe toujours. Les policiers tirent avec des balles en caoutchouc sur les jeunes militants, les enfants, les anciens. Mon neveu a reçu 40 balles dans la jambe; un enfant de 15 ans Brandon Hernández Huentecol, 150 balles dans le dos!»
Une culture vivante
Le Gouvernement chilien a été l’un des derniers Etats d’Amérique du Sud à ratifier l’article 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux, alors que 1,7 million de Mapuches vivent sur ses terres. «Mais le Gouvernement continue à ne pas respecter nos droits», tonne Flor Calfunao Paillalef. «Notre langue est vivante, notre culture aussi. On ne demande pas l’indépendance, mais la restitution de nos terres usurpées, afin de pouvoir vivre en harmonie avec la nature.» Une écologie concrète donc, où la spiritualité est au cœur des pratiques. «Un arbre n’est pas moins que nous, un animal non plus. Notre vision est large, ce qui nous a permis de préserver notre environnement. Et c’est nous qu’on traite de sauvages ou de terroristes? La résistance, ce n’est pas du terrorisme!» Mais Flor Calfunao Paillalef ne perd ni son sourire ni espoir. «On nous a tout volé, mais aussi notre peur! Je sais qu’un jour nous gagnerons.»