L’Algérie a connu vendredi passé son cinquième vendredi consécutif de contestation. Après plus d’un mois de mobilisation pour réclamer le départ du président grabataire, Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans, les rangs des manifestants n’ont fait que grossir, se comptant en millions. Le mouvement s’est propagé à de larges secteurs de la société. Plusieurs fédérations de l’UGTA, le syndicat officiel pro-Bouteflika, ont rejoint dans la protestation les syndicats indépendants de la CGATA. La semaine dernière, étudiants, professeurs, professionnels de santé, avocats, magistrats ont tour à tour manifesté contre un régime autoritaire et kleptocrate. «Les étudiants s'engagent, système dégage!» scandaient les jeunes manifestants
Ils n’étaient pas nés en 1988. Cette année-là, bien avant les printemps arabes, le pays avait connu une grande révolte populaire. Malheureusement étouffée par la répression (169 victimes, officiellement), puis par la victoire des islamistes dans les urnes, un coup d’Etat militaire et une sale guerre durant une décennie (100000 morts). En 2001, la Kabylie a connu un «printemps noir» marqué par le décès de 129 jeunes manifestants abattus par la gendarmerie. Le clan Bouteflika avait déjà pris le pouvoir, achetant la paix sociale par la redistribution d’une part de la manne pétrolière et gazière. Mais depuis quelques années, la présidence a répondu à la baisse des cours des hydrocarbures par une hausse des prix des biens de première nécessité qui, ajoutée au chômage massif et à l’absence de perspectives pour les jeunes, alimentent un mécontentement populaire atteignant son paroxysme ces jours-ci. Et la momie présidentielle s’accroche. C’est sûr, Bouteflika n’est pas Mujica, ce président uruguayen (2010-2015) qui, pour mémoire, vivait dans une petite ferme, versait 90% de son salaire à des organisations humanitaires et s’était retiré après un mandat seulement.
Le printemps algérien inachevé pourrait enfin trouver son accomplissement. S’il n’est pas confisqué. Figure de l’indépendance, Djamila Bouhired a, dans une tribune, mis en garde contre les «serviteurs zélés du système fraîchement repentis»: «Plus d’un demi-siècle après la victoire sur la domination coloniale et l’accession du pays à l’indépendance, le système politique installé par la force en 1962 tente de survivre par la ruse pour continuer à opprimer les Algériens, détourner nos richesses et prolonger la tutelle néocoloniale de la France.» Agée de 84 ans, la combattante du FLN, condamnée a mort par les autorités françaises, a apporté un soutien remarqué aux manifestants en descendant dans la rue: «Vous avez ressuscité l’espoir, vous avez réinventé le rêve, vous nous avez permis de croire de nouveau à cette Algérie digne du sacrifice de ses martyrs et des aspirations étouffées de son peuple.»