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Image tirée du film Parasite.Viens à la maison!

Palme d’or lors du dernier Festival de Cannes, Parasite, du cinéaste sud-coréen Bong Joon-ho, revisite les luttes de classes. Un grand film palpitant et inclassable

La famille Ki-taek vivote dans une ville de Corée du Sud. Tous ses membres – le père, la mère et les deux enfants, jeunes adultes – sont au chômage, survivent grâce à un boulot précaire à domicile qui consiste à plier des cartons de pizza et sont humiliés par une supérieure à peine sortie de l’adolescence. Tout en bas de l’échelle sociale où ils semblent être condamnés, les Ki-taek occupent un taudis semi-enterré des bas-fonds de la ville. Une habitation misérable, symbole de leur déchéance: les badauds enivrés urinent sur leurs fenêtres et ils sont contraints de se contorsionner sur les toilettes pour récolter les miettes des connexions wifi de leurs voisins.

Mais le destin de la famille est bousculé lorsqu’un ami du fils leur offre une pierre porte-bonheur et, surtout, se propose de recommander le jeune Ki-taek pour donner des cours particuliers d’anglais à la fille de la richissime famille Park. Le chômeur découvre alors la vie de la bourgeoisie sud-coréenne: une luxueuse maison d’architecte nichée dans les sommets de la ville, des enfants-rois – surdoués selon leur mère –, un chauffeur particulier et une gouvernante dévouée. Fasciné par ce nouveau monde qui se pavane indécemment devant lui, le fils Ki-taek va dès lors user de mille stratagèmes pour s’y faire une place et en faire profiter les siens. C’est alors le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne.

Impossible coexistence des classes

Récompensé à Cannes lors du dernier Festival, Parasite est le premier film coréen à obtenir la Palme d’or. Si l’œuvre mélange les genres en empruntant tantôt les codes du drame, de la comédie, du thriller, du film d’horreur ou encore du film catastrophe, c’est avant tout son caractère social qui ressort. Parasite est en effet une allégorie sur la coexistence des classes sociales qui semble, à l’heure actuelle, de plus en plus difficile à atteindre: les Ki-taek aspirent à une élévation sociale qui se refuse obstinément à eux; quant aux Park, ils n’envisagent les plus démunis que comme des employés dénués de toute humanité et caractérisés par une odeur de «pauvreté». Et ainsi que son réalisateur l’exprime: «Dans la société capitaliste d’aujourd’hui, il existe des rangs et des castes qui sont invisibles à l’œil nu. Nous les tenons éloignés de notre regard en considérant les hiérarchies de classes comme des vestiges du passé, alors qu’il y a encore actuellement des frontières infranchissables entre les classes sociales. Je pense que ce film décrit ce qui arrive lorsque deux classes se frôlent dans cette société de plus en plus polarisée.»

A une époque où l’accroissement des inégalités est de plus en plus prononcé, où le fossé entre les classes sociales semble se creuser et où de larges couches de la population se sentent laissées pour compte, Parasite – film à la fois perspicace, intelligent et au suspense haletant – nous invite à réfléchir sur notre manière de coexister.

Nicolas Jacot

Parasite de Bong Joon-ho, actuellement dans les salles en Suisse romande.

Image tirée du film La preuve scientifique de l'existence de Dieu.Des antimilitaristes montent au front

La preuve scientifique de l’existence de Dieu, le dernier film du Genevois Fred Baillif, relate l’histoire d’une bande d’antimilitaristes retraités. Un sujet en phase avec l’actualité...

Printemps 2017: les Suisses sont appelés à se prononcer sur une interdiction d’exporter des armes. Partisans de cette initiative, une bande d’antimilitaristes à la retraite décide alors de réaliser un documentaire sur leur passé d’anciens objecteurs de conscience. Leur démarche trouve une résonance particulière quand le petit-fils d’un des protagonistes meurt accidentellement dans le cadre de son service militaire. Voilà dans les grandes lignes la trame de La preuve scientifique de l’existence de Dieu, dernière œuvre du cinéaste genevois Fred Baillif. Un film qui sort des sentiers battus, mêlant fiction et réalité, vraies et fausses archives, comédiens confirmés – à l’image d’un Jean-Luc Bideau ou d’une Irène Jacob – et amateurs sans expérience de jeu. Un mélange réussi et parfaitement assumé par le réalisateur qui revendique «un cinéma social et solidaire, au travers d’un travail avec des acteurs naturels, intégrés dans tout le processus de création». «Le film se fait donc avec et pour eux», précise l’auteur. Résultat: des personnes qui ne jouent pas un rôle mais le leur. Sans fausse note. Tout en décidant de remonter au front... Entre séquences souvenirs et «révolution des edelweiss».

Divergences sur les moyens d’action

Au gré du déroulement de l’histoire, on fait ainsi la connaissance de Gino le poète, Michel le révolté et son envie de «déguiller» les cons, Nadia la féministe, Myriame la rêveuse, Alain le croyant ou encore André, promenant sa caméra sur ses potes. Sur leurs divergences. Leurs fêlures. Leurs idéaux soumis à l’épreuve du temps. Mais surtout sur l’amitié qui les lie. Ces soixante-huitards attachants, aux personnalités bien typées, se dévoilent à demi-mots dans ce tournage où va se greffer l’envie de franchir un pas de plus, eux qui, il y a près d’un demi-siècle, se sont battus avec succès pour l’introduction d’une alternative à l’armée. Mais les moyens d’action alors divisent, entre recours à la violence et pacifisme inconditionnel, posant aussi la question de la forme la plus adéquate de s’engager aujourd’hui. Du temps de leur jeunesse, ils avaient déposé leur arme et brûlé leur livret de service devant le Palais fédéral...

La preuve scientifique de l’existence de Dieu rend hommage à ces militants de la première heure qui ont lutté pour vivre dans un monde plus juste. «Ceux qui, comme l’exprime Fred Baillif, se sont indignés face aux aberrations d’une société schizophrène, une Suisse à la fois berceau de la Croix-Rouge et 11e exportatrice d’armes dans le monde.» Ces hommes et ces femmes toujours animés d’un esprit révolutionnaire et prêts à défendre leurs convictions. Une manière aussi d’évoquer la place des retraités dans notre société valorisant principalement le travail et les actifs.

Hasard du calendrier mais surtout récurrence de la question, le sujet de cette docu-fiction décalée trouve un écho particulier dans l’actualité: l’initiative contre l’exportation d’armes vers les pays en guerre civile, munie de 134000 signatures, ayant tout juste été déposée le 24 juin dernier.

Sonya Mermoud

La preuve scientifique de l’existence de Dieu de Fred Baillif, à voir le 1er août à CinéTransat, Genève (projection en plein air), puis, dès le 7 août, en salles.

facebook.com/lapreuvescientifique

Image tirée du film Fair Traders.Un business différent

Est-il possible de conjuguer l’économie de marché avec un mode de production respectueux de l’environnement et des conditions de travail justes? C’est la question qui intéresse le cinéaste italo-suisse Nino Jacusso dans son documentaire Fair Traders

Trois entrepreneurs issus de trois générations différentes et évoluant à des échelles distinctes (locale, nationale et internationale): Nino Jacusso propose dans Fair Traders, le portrait de deux femmes et d’un homme dans leurs activités professionnelles quotidiennes. Leur point commun? En refusant un fonctionnement économique fondé sur l’exploitation des hommes et de la nature, ils agissent de façon équitable, fair et durable, chacun à son niveau.

Claudia est agricultrice et propriétaire d’une supérette bio depuis 2016 dans le canton de Soleure. Elle y vend notamment des produits de sa ferme et ceux d’autres producteurs de la région, et met un point d’honneur à s’engager contre le gaspillage de nourriture en proposant, par exemple, des légumes considérés comme invendables par la grande distribution. Sina a quant à elle créé, en Allemagne, une entreprise de confection de vêtements produits selon des principes écologiques et sociaux. Les employées – les ladies, ainsi que Sina les appelle – ont souvent des parcours cabossés: chômeuses de longue durée, migrantes, mères célibataires, etc. Finalement Patrick est le fondateur et le président d’une société suisse de culture et de production de coton bio en Inde et en Tanzanie. Sa démarche équitable et pionnière, il l’a mise en place dans les années 1990 déjà lorsqu’il constate que les revenus des producteurs servent surtout à l’achat des pesticides. Sensible également à la question du travail des enfants, il s’est investi pour résoudre cette problématique en finançant des écoles dans les villages des travailleurs.

La grande réussite du cinéaste est d’avoir su mettre en scène à la fois les différences, mais également les points communs entre ces trois entrepreneurs, permettant ainsi à chaque spectateur de percevoir comment lui pourrait agir à son propre niveau. Si les protagonistes se distinguent par les moyens à disposition et l’envergure de leur business respectif, ils sont en revanche reliés par une même envie d’être «utiles à la société», une même humanité et, surtout, un souci constant du confort et de la qualité de vie de ceux – employés, collègues, fournisseurs – qui les entourent. Jamais à la recherche du bénéfice à tout prix, ils se contentent de la taille de leur société, privilégient une croissance qualitative à quantitative. Une vision économique qui, dans la société de consommation exponentielle actuelle, offre une respiration bienvenue.

Nicolas Jacot

Fair Traders de Nino Jacusso, sortie en Suisse romande le 24 juillet.