Une activité sanctionnée
Mickaël Béday, horloger et diplômé horloger-rhabilleur, a commencé à travailler en 2013 chez Dubois Dépraz au Lieu, une entreprise de sous-traitance horlogère comptant plus de 350 employés sur ses trois sites de la vallée de Joux et à Arch dans le canton de Berne. Comme le prévoit la CCT de l’horlogerie, il est désigné comme délégué syndical et débute son mandat en janvier 2017. Il est aussi membre de la commission nationale de l’horlogerie d’Unia. Début 2018, il reçoit un avertissement en lien avec ses activités, qui sera retiré. En octobre 2018, il intervient pour demander le respect de la CCT sur les heures supplémentaires et obtient que les travailleurs qui le souhaitent puissent les reprendre en congé. En mars 2019, il demande que les heures non travaillées en raison du déménagement d’un atelier soient rémunérées. Ce qui sera fait également. Deux mois plus tard, Mickaël Béday reçoit un autre avertissement, notamment pour un oubli de timbrage et du «bavardage». Outre l’oubli de timbrage, qu’il reconnaît (à relever que les employés de Dubois Dépraz doivent timbrer même pour aller aux toilettes), il conteste les autres points qui ne correspondent pas à la réalité. Un mois plus tard, le jeune horloger est licencié et libéré de son obligation de travailler durant le délai légal. L’entreprise lui reproche d’avoir échangé une pièce défectueuse contre une autre au lieu de la retoucher et d’avoir livré une autre pièce non retouchée avec la mention «faite».
S’il regrette ces erreurs, l’horloger conteste avoir voulu nuire à l’entreprise comme l’accuse la direction. Dans un communiqué daté du 5 juillet, le directeur de Dubois Dépraz indique que son employé n’avait pas exécuté les retouches demandées par un contrôleur et qu’il avait «croisé les étiquetages», ce qu’il qualifie de «grave tromperie». Le directeur accuse également Unia d’instrumentaliser ce licenciement à des fins politiques. Questionné par nos soins au sujet de l’interprétation de cette erreur, Pierre Dubois indique qu’il faut «dissocier les choses. L’erreur est un phénomène courant et n’est pas sanctionnée. Par contre, il s’agit là d’une faute professionnelle grave qui n’a rien de banal. Cela peut provoquer des dégâts d’image dans notre milieu. Vous semblez banaliser les répercussions. C’est comme un garagiste qui ne révise que trois roues sur quatre. Cette faute était intentionnelle. Bien sûr, il n’y a pas mort d’homme, ni dommage financier, mais nous avons sanctionné une tromperie qui vise à induire en erreur. La confiance a été rompue. L’activité syndicale de M. Béday n’est pas à l’origine de son licenciement.»
Raphaël Thiémard, responsable de la branche pour Unia et horloger lui-même, réserve son analyse des erreurs pour la justice mais souligne que «ce sont des choses qui peuvent arriver. C’est pour cela qu’il y a des contrôles à toutes les étapes.» Dans le cas de Mickaël Béday, il estime que ces erreurs ont été montées en épingle pour justifier son licenciement. «Ne pouvant plus lui reprocher ses activités syndicales, ils ont pratiqué la tolérance zéro pour trouver de quoi le mettre à la porte. Parler de tromperie ou de fraude est choquant à propos de ce délégué, alors que c’est quelqu’un qui s’investit dans son travail et qui a eu à cœur d’améliorer la qualité de ses prestations. Il a même été félicité lors de sa dernière évaluation. Le fait que l’entreprise ait dû reculer sur deux différends a certainement fait monter la tension.»
Sentiment d’indignation
A l’aube du 8 juillet, Unia a tracté devant les sites de Dubois Dépraz au Lieu et aux Charbonnières. Abdeslam Landry, syndicaliste d’Unia, résume les impressions recueillies: «C’est un sentiment d’indignation et de révolte qui a été exprimé par les travailleurs rencontrés. Et malheureusement, de peur aussi. Certains nous ont dit: “Pour nous faire taire, ils s’en prennent à notre délégué syndical.” Pour eux, le licenciement de Mickaël n’est pas causé par sa soi-disant faute professionnelle mais parce qu’il dérangeait dans l’entreprise.»