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«La forêt, c’est ma cathédrale»

Portrait de Ernst Zürcher accroché à une branche d'arbre.
© Thierry Porchet

Branché. Ernst Zürcher voue une véritable passion pour les arbres.

Ingénieur forestier, chercheur, enseignant, conférencier, auteur d’un livre à succès, Ernst Zürcher œuvre à la transition écologique. Les arbres au cœur de sa démarche

Hors de question de prendre sa retraite. A 68 ans, Ernst Zürcher, crinière blanche et mollets d’acier, continue de multiplier les activités. Et de se projeter dans l’état d’esprit de l’enfant, joyeux, appréhendant son travail comme un jeu. Enseignant à l’EPFZ, l’EPFL et l’Université de Lausanne, chercheur à la Haute Ecole spécialisée bernoise, section bois, conférencier constamment sollicité et auteur de l’ouvrage Les arbres, entre visible et invisible, cet ingénieur forestier et infatigable marcheur poursuit avec énergie la mission qu’il s’est assignée: contribuer au débat sur la nature et le climat, et proposer des solutions en vue de l’impérative transition écologique. Un engagement source de bonheur pour cet homme d’une grande sensibilité, marié et père de deux grands enfants, qui estime mener l’existence pour laquelle il a été fait. Un parcours qu’il a intrinsèquement lié aux arbres, dont il souligne le rôle clef dans la survie de la planète en raison de leur capacité d’absorption des émissions de gaz à effet de serre. Insuffisante toutefois.

Jamais trop tard

«Il nous faut reboiser et réhabiliter les forêts dégradées en prenant garde à mélanger les espèces», déclare Ernst Zürcher insistant sur l’importance du monde végétal, puits de carbone et d’eau, propre à «amortir partiellement le choc» des menaces pesant sur la Terre. Mais si le défenseur de l’environnement juge urgent d’agir, il reste confiant. Et de citer en écho à son optimisme le Challenge de Bonn. Cet instrument vise, d’ici à 2030, à la restauration et à la reforestation de 350 millions d’hectares de terres. Quarante-sept gouvernements, associations et entreprises se sont engagés à relever ce défi. Le sexagénaire mise aussi sur l’agriculture biologique, la végétalisation des villes et surtout la permaculture agro-forestière pour faire face au réchauffement climatique. «La canicule nous contraint au changement. On a déjà commencé à planter des noyers dans les champs de blé, élever des haies, reboiser les rives des rivières... On transforme nos déserts agricoles en systèmes naturellement fertiles. Il n’est jamais trop tard, à condition de faire juste.» La manière? Le sympathique ingénieur forestier l’a découverte à travers ses nombreuses recherches, ici et à l’étranger, mais aussi à son sens de l’observation et une intuition aiguisée par ses fréquentes immersions dans les bois. Lui qui, déjà enfant, parcourait la campagne du Jorat, toutes antennes dehors, fabriquant des arcs en noisetier ou pêchant la truite à la main...

La nature, livre ouvert

«La nature, c’est de l’intelligence à l’œuvre, un vaste livre ouvert. Il faut apprendre à le décoder. L’analyse seule ne suffit pas pour connaître une forêt», s’enthousiasme le passionné qui, cumulant les centres d’intérêt, s’est aussi familiarisé avec l’archéologie, la géométrie sacrée, le nombre d’or «que l’on retrouve également dans une pive»... «La forêt, c’est ma cathédrale.» Une architecture de feuilles, de branches, de racines et de cimes, etc., bien plus complexe et organisée qu’on ne se l’imagine. «L’arbre seul est une entité autonome. Mais, à plusieurs, ils forment une forêt, non une addition d’arbres. Saut quantique... Ils en deviennent les organes qui communiquent avec le cosmos», affirme, des étoiles dans le ciel de ses yeux, Ernst Zürcher tout en signalant la solidarité qui s’opère dans les forêts naturelles. «Il y a une mise en commun des capacités de croissance profitant à tous, entre ceux, par exemple, qui ont des racines profondes et d’autres superficielles. Une entraide pour survivre.» Et Ernst Zürcher d’insister sur l’importance de la mixité. «Des études ont été menées sur la croissance du chêne et du tilleul sur trois parcelles. Sur celle où l’on a mêlé les deux espèces, on a mesuré une pousse supérieure aux autres, respectivement de 23 et 32%.» Jolie métaphore de la façon dont pourrait être appréhendée la migration... «Oui, comme un enrichissement mutuel, sous réserve qu’on promeuve l’intégration, non l’assimilation», sourit Ernst Zürcher qui a aussi étudié l’influence des rythmes lunaires sur la croissance des végétaux quatre années durant au Rwanda.

Avec la complicité de la Lune

«Les différentes phases de la Lune ont des effets sur les semis, la vitalité des arbres, les propriétés de leur bois. En en tenant compte, on peut déterminer si on aura du matériau de cheminée ou pour la construction de maison. La science a validé des connaissances ancestrales.» Un savoir mis à mal par l’érosion du lien entre l’homme et la nature à laquelle l’Eglise romaine a contribué. «En 561, lors du Concile de Braga, au Portugal, l’autorité religieuse a décrété que les croyances liées aux influences des constellations sur les végétaux, sur le choix d’un jour pour se marier, etc., relevaient de l’hérésie. Dangereux pour ceux qui persistaient dans ces démarches considérées comme païennes....» Le chercheur note cependant que l’enfant conserve pour sa part cette relation privilégiée avec la nature. Et se réjouit d’initiatives actuelles comme celles intégrant, par exemple, des cours scolaires en forêt.

Si l’ingénieur forestier confie vivre sans peur – «cette émotion disparaît en se confrontant à ce qui la provoque» – il fustige les violences infligées à la planète. «On pensait, après la Seconde Guerre mondiale, que le mal absolu n’émergerait plus. Mais quand on assiste au fascisme économique contre la nature, uniquement pour du profit, on s’interroge. Un tel cynisme...» Pas de quoi toutefois décourager cet homme des bois qui cite encore différents projets prometteurs. Et assume une approche mêlant science et spiritualité. Mais n’a-t-il pas souligné les effets bienfaisants de la mixité?...