Protéger ces invisibles
Protection toujours aussi lacunaire des auxiliaires de vie – une profession essentiellement féminine – employées par des ménages privés. Les dispositions prévues par le modèle de contrat-type de travail proposé en 2018 par la Confédération restent à ce jour largement ignorées par les cantons. On voit l’intérêt porté à la question. L’indifférence dont fait l’objet cette catégorie de travailleuses, qui constitue pourtant un des rouages de notre système de santé. Cette situation a pour conséquence des risques élevés et persistants pour ces femmes dans leur très grande majorité migrantes. Des personnes corvéables et serviables à merci, connaissant rarement leurs droits. Des étrangères ne pouvant s’appuyer sur un réseau social, confrontées à des conditions de travail s’apparentant souvent à de l’esclavage moderne. Pauses inexistantes, semaines qui s’enchaînent en continu, sans jours de congé, disponibilité 24 heures sur 24... Ces «gouvernantes» d’un nouveau genre, chargées d’assister nuit et jour des personnes âgées ou dépendantes, évoluent dans des sphères dépourvues de réels garde-fous. Des espaces où leurs conditions d’emploi échappent à tout contrôle, ouvrant large la porte aux abus. Placées par des agences ou recrutées via des plateformes en ligne, ces employées invisibles touchent de surcroît des salaires de misère. Des rémunérations tenant rarement compte de toutes les heures de présence auxquelles elles sont soumises, de la diversité des tâches qu’elles remplissent. Bien au-delà de simples corvées ménagères. Ces auxiliaires de vie se révèlent pourtant indispensables au bon fonctionnement de notre société. A ses impératifs organisationnels et aux modes d’existence actuels. Elles répondent à de véritables besoins. A l’heure où les enfants, pris par leurs obligations professionnelles ou trop éloignés géographiquement de leurs parents ne peuvent plus s’occuper de ces derniers. A l’heure où les femmes – assignées de facto par notre société patriarcale au rôle de proches aidants – souhaitent ou doivent travailler davantage pour faire bouillir la marmite. A l’heure où les bénéficiaires préfèrent aussi largement demeurer dans leur foyer plutôt que de terminer leur existence dans des établissements médico-sociaux froids et impersonnels.
Dans ce contexte, les autorités seraient bien avisées de prendre en compte ces paramètres et de les intégrer dans une véritable politique des seniors et de la santé. Le transfert de responsabilités ne saurait s’opérer sur le dos de personnes vulnérables. Les auxiliaires de vie exercent un métier comme un autre et, dans ce sens, doivent être soumises à la Loi sur le travail. Il n’y a aucune raison de déroger à cette règle. De minimiser leurs tâches. De ne pas leur offrir de protection adéquate. Les ménages privés sont, quant à eux, aussi des employeurs comme les autres, avec des devoirs. Même si l’Etat rechigne à mettre son nez dans les foyers – l’interventionnisme reste tabou – il ne peut se réfugier derrière des contrats-types non contraignants qui n’offrent pas les garanties nécessaires au personnel concerné. Des instruments aujourd’hui obsolètes qui peuvent être aisément contournés par des arrangements individuels. Un traitement juste et respectueux de cette catégorie de travailleurs s’avère impératif face à une activité qui continuera à prendre de l’ampleur dans notre société vieillissante.